Alexis Croisé : « Plein d’oiseaux s’expriment autour du piano »

N’est pas Satie qui veut. La mode du piano solo, lancée à l’aube des années 2010 par quelques électroniciens déviants (Nils Frahm, Maxence Cyrin, Sylvain Chauveau…), a fini par provoquer une raz-de-marée de projets douceâtres et insignifiants. Avec Komorebi, Alexis Croisé sort du lot : sa musique, qui a pour horizon le Japon d’Hayao Miyazaki, dialogue avec le vent, les rivières et les oiseaux. Il parle de sa méthode de composition…

Vous êtes pianiste, vous accompagnez des personnalités comme Clara Luciani ou Léonie Pernet. Qu’est-ce qui vous a donné envie de prolonger votre musique avec des enregistrements de terrain ?

Alexis Croisé : « J’habite en ville, je suis un citadin. Je ressentais une forme d’injustice, j’entendais le cri d’alarme de tout ce qu’il se passe : l’exploitation des animaux, l’extinction des insectes, l’utilisation de la faune pour notre divertissement… Tout cela est lié à une soumission à l’homme que je trouvais difficile à accepter, comme la hiérarchisation qu’on a tendance à faire. J’avais envie d’un dialogue entre le piano et des éléments de la nature. Je trouvais intéressant de mettre la nature (ou le réel, parce qu’il est étrange de dissocier la nature de nous, qui en faisons partie) sur un pied d’égalité avec le piano, sans effet, sans rien, de manière très concrète. La nature mérite un meilleur traitement. Il s’agit de notre habitat, de notre premier environnement depuis très très longtemps. On l’a quitté en quelques décennies. »

Vous vous êtes donc acheté un magnétophone…

Alexis Croisé : « Je suis allé dans différents endroits : dans les Côtes d’Armor, dans la Drôme, même au bois de Boulogne… J’ai enregistré beaucoup de chants d’oiseaux. J’ai mélangé les chants de pic noir, de troglodyte, de rouge gorge et de mésange et j’ai créé un moment un peu symphonique dans Birdway. Plein d’oiseaux s’expriment autour du piano. »

Qu’est-ce qui vient en premier ? L’enregistrement de terrain ou la mélodie ?

Alexis Croisé : « A l’avenir, j’aurai très envie de commencer par l’enregistrement de terrain. Mais, pour cet album, les morceaux étaient déjà en train d’émerger, j’avais déjà des compositions quand je suis allé enregistrer. J’avais envie de raconter des histoires. Pour Birdway, j’avais déjà l’esquisse d’un morceau assez long, les chants d’oiseaux ne sont venus que dans un deuxième temps. C’est marrant, parce que j’ai découvert en l’écrivant une étude d’Élise Rousseau et Philippe J. Dubois qui dit que 6 minutes de chants d’oiseaux suffisent pour réduire le stress. Je me suis dit « C’est super ! Il faut que j’atteigne les 6 minutes. ». C’est devenu un morceau presque thérapeutique. »

Qu’est-ce que ce disque doit au Japon, qui lui donne son titre ?

Alexis Croisé : « J’ai énormément d’amour pour la culture japonaise. J’ai découvert il y a deux ans le shintoïsme et la philosophie qui le sous-tend, qui m’a semblé assez pertinente. Il y a la fois une préoccupation écologique et sociétale. La parole humaine est placée au-dessous de celle de la nature, là où, dans d’autres philosophies, idéologies ou religions, la parole est sacrée, elle est au-dessus de tout. La nature est le pilier de ce courant de pensée. Au-delà du rapport que les Japonais ont à la nature, j’aime les compositeurs japonais. J’aime leur pudeur. Les plus connus, comme Joe Hisaishi, qui fait les bandes-originales des films de Miyazaki, Nobuo Uematsu, qui signe la musique de Final fantasy, ou même Ryūichi Sakamoto, m’inspirent énormément, parce qu’ils jouent avec la frontière entre le kitsch et l’épique, ils ont une sorte de retenue doublée d’une intensité énorme. Je me reconnais vachement là-dedans. Le rapport à la nature est très fort là-bas, même dans les villes. Il y a des jardins zen qui sont magnifiques. Ce sont des éloges de la nature. Leur nouveau romantisme, mi-kitsch mi-épique, me parle. »

Quelle forme prennent vos collaborations avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux et les Soulèvements de la Terre ?

Alexis Croisé : « J’ai fait une résidence en septembre et octobre au Centre Culturel, une salle du quartier de Belleville. J’avais carte blanche. C’était la première fois qu’on me laissait autant de liberté. J’ai invité des artistes que j’aime, puis je me suis dit qu’il fallait que j’aille plus loin, que j’invite des associations qui me parlent. Je les ai contactées et elles ont répondu « Présent ! » avec un grand « oui ». C’était une super ambiance. On a donné des concerts dont les recettes ont été reversées aux projets de la LPO et de Thousand Madleens to Gaza, la flottille qui est partie en direction de la Palestine… Il y avait des cagnottes pour financer les bateaux et y on a participé. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web d'Alexis Croisé

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