Jean Thoby : « Les plantes aiment les musiciens et sont plus actives en leur compagnie »

C’est peut-être le plus singulier des festivals d’été : chaque mois d’août, l’association Plantarium, qui gère le jardin botanique de Gaujacq, dans les Landes, y organise un « Festival International de la Musique des Plantes ». Pendant 5 jours, des spécialistes de cette discipline venus du monde entier s’y retrouvent pour jouer et donner des conférences. Mais qu’est-ce, exactement, que la « musique des plantes » ? C’est la question que nous avons posée à Jean Thoby, le maître des lieux, qui se présente comme un « musiniériste », soit un pépiniériste musicien, voire un musicien pépiniériste…

Qu’appelez-vous la « musique des plantes » ?

Jean Thoby : « La musique des plantes se décompose en trois éléments. Le premier, celui auquel nous nous consacrons, c’est la phytoneurologie. On considère que certaines cellules végétales, au niveau des racines, se comportent comme des neurones. La plante n’a bien sûr pas de synapses, pas de cerveau, mais elle dispose d’un système équivalent. Développer des compétences cognitives sans cerveau, c’est possible, comme respirer sans poumons. Pour la phytoneurologie, on se sert de l’activité électrique de surface du végétal. On place une sonde au niveau de la racine, une autre au niveau des feuilles, des fleurs ou des bourgeons. Un appareil transcode la différence de polarité entre ces deux points. Cette ondulation est transformée en sons. Cette activité électrique aurait pu donner un son incohérent ou laid ; si on tente cette expérience avec un appareil électroménager, on n’obtiendra que du bruit. Là, on obtient une harmonie. L’activité électrique de surface d’un végétal est harmonieuse, comme tout ce qu’il produit, d’ailleurs. C’est un peu comme si on captait vos ondes cérébrales, quand vous faites un check up chez un médecin : on vous met des patchs partout. Ces appareils mesurent l’activité électrique à la surface de votre peau, ce qui donne des indications très précises sur le fonctionnement des organes. On fait la même chose pour les plantes, c’est pour ça qu’on appelle ça « phytoneurologie ». En fait, l’activité électrique d’un végétal est très faible. Elle va de 0,01 millivolt à 1 millivolt. Nos boîtiers sont donc extrêmement sensibles. »

Le jardin botanique de Gaujacq

Voilà donc la phytoneurologie. Et les autres composants de la musique des plantes ?

Jean Thoby : « Le deuxième, c’est-ce qu’on appelle la génodique. La génodique vient des travaux de Joël Sternheimer, Docteur en physique théorique et musicien, élève de Louis Victor de Broglie. De Broglie a reçu le Prix Nobel pour avoir démontré qu’à chaque masse correspond une fréquence. Joël Sternheimer a ensuite démontré que, comme on connaît la masse d’un acide aminé (et donc sa fréquence), une suite d’acides aminés qui compose les chaînes protéiques correspond à une suite de notes. C’est ce qu’on appelle les « protéodies ». Ça veut dire que les plantes produisent des sons que nous ne captons pas. Puis la troisième composante a été développée notamment par le botaniste Ernst Zürcher, un scientifique suisse avec lequel nous avons beaucoup travaillé de 2014 à 2017 ou 2018. Lui regarde l’activité électrique interne du végétal. Quand on fait des études horticoles, on apprend – pour faire simple – que l’intérieur du tronc est une sorte de structure morte qui soutient ce qui est vivant autour. En fait, c’est dans la structure interne du bois qu’on a le plus d’activité électrique. On a jusque 70 millivolts ! C’est la mémoire de la plante. La chronobiologie, c’est l’ensemble de ces activités électriques, qu’on peut transcoder en sons, et qui sont liées à la mémoire de la plante : le jour, la nuit, les saisons, tout ce qui s’est passé depuis que la plante est là… Voilà les trois axes. Nous, on s’occupe beaucoup de phytoneurologie parce que c’est là qu’il y a le plus de musicalité, que c’est là que se joue l’interaction de la plante avec son environnement, qu’elle soit à l’extérieur ou à l’intérieur, cultivée en bio ou pas… L’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, parle d’ailleurs de « phénotypage vibratoire du règne végétal », c’est-à-dire que les plantes les plus anciennes ont beaucoup plus d’activités électriques que les plantes plus jeunes. Les arbres, qui ont 200 millions d’années d’évolution, ont plus d’activité que les bégonias ou les géraniums, qui ont globalement 90 millions d’années d’évolution. Il y a aussi un lien avec l’hybridation : un pied de tomate sauvage a une activité électrique beaucoup plus forte qu’un de ses descendants par hybridation. Plus on hybride une plante, plus elle perd son activité électrique, ce qui la rend plus fragile. Il y a en effet un lien très direct entre l’activité électrique d’une plante et sa bonne santé. »

Un reportage de France 3

Comment êtes-vous devenu l’un des spécialistes de ce domaine ? Quel a été votre parcours ?

Jean Thoby : « Je suis pépiniériste et paysagiste, à la base. J’ai toujours cherché à comprendre comment fonctionne le règne végétal, au niveau de l’acclimatation, de l’hybridation… Plutôt que de le faire de manière automatique, j’ai essayé de comprendre comment la plante interagit avec son environnement. Quand on cultive des végétaux tout le temps, qu’on fait des greffes, des boutures, des semis, on s’aperçoit qu’ils ne répondent pas forcément comme on l’a appris à l’école d’horticulture. Les plantes sont branchées sur nos ondes cérébrales. Quand on fait des semis de plantes très difficiles, la levée du semis est plus importante quand on est de bonne humeur. Et inversement. On met très longtemps à comprendre ça. Quand on fait des conférences, je dis aux gens « On a mis 20 ans à comprendre comment ça marche, si, en une lecture d’article, on peut faire gagner aux gens 20 ans d’expérimentation, c’est un cadeau ! ». »

Jean et Frédérique Thoby

A quel moment la musique a-t-elle trouvé une place dans ces études ?

Jean Thoby : « En 2012, on s’est penché sur la question de l’activité électrique et notamment des protéodies faites par le groupe de Joël Sternheimer. C’est le déclencheur. Ça nous a apporté plein d’explications sur la façon dont une plante s’acclimate et s’adapte. On a reçu deux appareils d’un petit groupe de scientifiques, l’équipe de Solera en Italie. Ils travaillent depuis une quarantaine d’années sur les questions d’environnement mais ils avaient beaucoup de mal à intéresser d’autres scientifiques à leurs recherches. Probablement parce que leur protocole n’était pas suffisamment suivi. Quand d’autres scientifiques recevaient des appareils pour décoder l’activité électrique d’un végétal, ils l’expérimentaient dans une salle où ils étaient 4, puis 2 personnes se joignaient à eux, une autre amenait des tasses de thé ou de café… Ils avaient l’impression que l’appareil ne marchait pas parce qu’ils n’obtenaient pas le même résultat d’un moment à l’autre. Quand les Italiens ont vu qu’on faisait des recherches sur l’hybridation, les collections végétales ou l’acclimatation, qu’on était ouvert au public, qu’on donnait des conférences, ils nous ont demandé de tester un boîtier. On a accepté et on s’est aperçu qu’effectivement, les groupes scientifiques ne pouvaient pas trouver des résultats homogènes, parce qu’effectivement, la plante est suprasensible. Si on respecte le protocole mais qu’une personne supplémentaire entre, elle réagit. Même si, parce qu’il fait chaud, on change de t-shirt l’après-midi, qu’au lieu de porter un t-shirt blanc on a un t-shirt bleu, on a changé le protocole. La plante a un paramètre différent, donc le résultat est différent. Les scientifiques ne se sont pas forcément rendu compte de cette suprasensibilité. On a commencé, nous, à utiliser ces appareils et à les considérer comme des instruments de botanique. Comme nous avons ici plus de 3 000 plantes différentes à étudier, on a regardé s’il y avait un lien entre l’activité électrique de la plante et son espèce (oui, il y en a un), entre l’activité électrique de la plante et la manière dont elle est cultivée (oui, il y en a un), entre l’activité électrique de la plante et son nombre d’hybridations (oui, il y en a un)… »

Quand les musiciens vous ont-ils rejoint dans ces expérimentations ?

Jean Thoby : « Je suis un peu musicien, je joue un peu de piano. Dans mes entraînements de piano, je me suis aperçu que la plante changeait son activité électrique en fonction de ce que je jouais. J’ai fait la connaissance de la Japonaise Roman Kawasaki. Elle est très connue au Japon, elle a écrit beaucoup de musiques de films. On l’a invitée à un événement que nous organisions au Parc Floral de Vincennes, en mai 2017. Elle a mis au point un numéro musical avec une plante japonaise. Elle va dans les aigus du piano et effectue une sorte de code. A force d’entraînement, quand la plante entend ce code, elle répète deux ou trois phrases musicales. En 2018 ou 2019, au festival de Marciac, j’ai pu présenter à un public très musicien comment certaines plantes réagissent à certains types d’accords. Ça a inspiré le groupe Keryda, qui, à notre festival, va pouvoir donner un concert avec tout ce qu’ils ont pu apprendre. Il leur a fallu 2 ou 3 ans d’entraînements assez intensifs pour obtenir quelque chose de très beau. Quand on est devant une plante, si on a une pensée très active ou, au contraire, une pensée endormie, les sons sont différents. La musique de la plante est donc liée à la personne. C’est l’effet miroir : la plante ressent la personne. Même chose pour les musiciens : les plantes les aiment et sont encore plus actives en leur compagnie. Aujourd’hui, on donne aux musiciens les codes des réactions des plantes pour qu’ils composent eux-mêmes. Notamment à Marc Vella, un pianiste très connu : il a reçu le Prix de Rome et a donné des concerts partout, même dans des lieux improbables, sur la banquise, dans le désert… Il avait déjà joué avec des animaux (qui, d’une manière générale, sont assez intéressés par la musique, notamment les herbivores). On lui a demandé de jouer avec les plantes et il a été si surpris de leurs réactions qu’il nous a laissés son piano en cadeau. Il était bouleversé. Depuis, il s’est formé à la musique des plantes, il a acheté le matériel, il partage aujourd’hui régulièrement la scène avec une plante. »

Keryda, qui participera à l’édition 2022 du Festival International de Musique des Plantes

Pourquoi toutes ces initiatives sont-elles si mal connues ?

Jean Thoby : « Alors… Nos travaux ont globalement trois applications. Il y a une dimension artistique. Même si on ne comprend pas tout, on passe de bons moments musicaux, notamment au Festival International des Musiques de Plantes au mois d’août. En parallèle, ce côté artistique est examiné par des scientifiques pour mieux comprendre ce qu’il se passe. Le deuxième axe, c’est la musicothérapie botanique. Elle permet une nette amélioration de la santé. Plusieurs médecins ont appris la méthode. A partir de l’automne 2023, une clinique alternative qui est en train de se monter en Suisse va réaliser un tiers de ses soins avec la musique des plantes. Dès 2019, des gens qui travaillaient au CHU de Genève avaient validé nos travaux portant sur les liens entre la musique des plantes et l’amélioration de certaines pathologies. Une DME, une Démonstration Médicale Expérimentale, a été signée par la clinique Brétéché à Nantes, qui a constaté que des patients se sentaient mieux après avoir écouté de la musique des plantes. Enfin, pour les cultures, on développe des biodynamiseurs pour, en résumé, soigner des plantes avec la musique des plantes. Aujourd’hui, une quarantaine d’entreprises utilisent la méthode dite « de la biodynamisation de Gaujacq ». Les résultats sont très bons. On organise d’ailleurs un symposium chaque année, fin novembre. »

Alors, qu’est-ce qui bloque ?

Jean Thoby : « Quand on rencontre des scientifiques, des musiciens ou des agriculteurs, il y a trois types de réaction. Le premier tiers, ce sont des gens qui disent tout de suite « Ah, ça, ça me parle, j’ai vu ou lu quelques trucs là-dessus, ça m’intéresse ». Le deuxième tiers, ce sont des gens qui doutent. Dans le monde occidental, parler des plantes de cette façon, ça étonne. Ces gens doutent mais ils vérifient nos sources (qu’on leur précise sans hésiter). En fait, nos découvertes sont basées sur les travaux de gens qui nous ont précédé. On ne découvre jamais rien tout seul, c’est toujours un travail d’équipe. Après avoir lu toutes les publications sur ce sujet, ces gens se disent que ça semble logique, qu’il faut approfondir. Ils se demandent si nos expériences sont reproductibles et, oui, elles le sont. Cette démarche leur permet de progresser. Et puis, il y a un troisième tiers qui n’y croit pas. Quand on demande pourquoi, ils répondent « Parce que ». J’ai parlé avec des scientifiques devant des cultures. Je leur disais « Regardez, la culture était malade. Elle ne l’est plus. La seule chose que l’horticulteur a fait, c’est d’utiliser notre méthode. Et voici le témoin, qui n’a pas été soigné avec la musique des plantes et qui est toujours malade ». Ils me répondent qu’il n’y a pas assez d’écrits, pas assez d’effets randomisés pour dire que ça fonctionne et que ça ne peut donc pas marcher. Ce n’est pas une démarche scientifique. Je ne sais pas comment ce blocage va être dépassé. Il se situe aux bases de la physique actuelle parce que nos travaux s’appuient sur la physique quantique. Tout le monde n’est pas adepte de la physique quantique. On peut aimer les plantes, les trouver jolies mais, de là à penser qu’elles peuvent avoir une interaction avec un ordinateur et un piano pour produire des sons en fonction d’un résultat souhaité, ça n’a rien d’évident. Quand vous allez à la rencontre de gens qui cultivent des plantes avec des produits chimiques et que vous leur démontrez que l’activité électrique de la plante est plus faible quand vous l’abreuvez de produits de synthèse, vous remettez en cause une technique apprise il y a 20, 30 ou 40 ans. Tout le monde n’est pas prêt à l’accepter. Suivant la tournure d’esprit, l’éducation qu’on a pu avoir, nos travaux peuvent sembler une évidence ou provoquer un refus. »

En France, la musique des plantes est donc encore assez confidentielle…

Jean Thoby : « Mais ça change. On est approché par le Ministère de l’Agriculture. L’idée de soigner les végétaux avec la musique des plantes est validée par la MSA des Landes, dans le cadre de la prévention des risques phytosanitaires. Cette branche de la sécurité sociale agricole est aujourd’hui partenaire de notre symposium et essaie d’impliquer la MSA nationale. Ça se fait étape par étape. Des producteurs sont aujourd’hui de fervents défenseurs de la technique, ils en parlent autour d’eux. Le bouche à oreille amène de nouvelles expérimentations sur le terrain. Un dernier exemple : on travaille avec un chercheur qui s’appelle Laurent Vandanjon, qui est à Vannes. Il travaille sur les algues. Il a étudié leur activité électrique et en a tiré des graphiques, des courbes, des chiffres… Personne ne s’intéressait à ses travaux. Quand il a eu vent de nos machines, on est allé le voir. Maintenant, il branche ses machines sur la nôtre et peut obtenir des sons qui sont tout à fait intéressants. D’un seul coup, plein de gens s’intéressent à ses travaux. La musique des plantes est une nouvelle façon de marier la science et l’art… ».

Photo de têtière : François Mauger
Autres photos fournies par Jean Thoby
Pour aller plus loin...
Le site web du Festival International de la Musique des Plantes
Le site web de l'association Plantarium, productrice de l'événement

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