Les expériences perchées de Labotanique

Il faudrait demander à un linguiste à quel moment l’adjectif « perché » a commencé à signifier « doucement délirant ». Etait-ce à l’époque du Baron perché d’Italo Calvino (1957) ? Etait-ce plus récemment, lorsque des militants comme les héros de L’arbre-monde de Richard Powers (2018) ou l’activiste Thomas Brail ont commencé à grimper aux arbres pour les sauver ? Toujours est-il que l’adjectif correspond très bien aux projets toujours décalés de Labotanique. En 2021, le duo avait publié un premier album très original, dont chaque titre était consacré à une plante. En 2023, ils reviennent séparément. Ronan Moinet, le parolier, raconte au cours de conférences sonores comment il a passé une semaine au sommet d’un arbre, tandis que Thomas Cochini compose pour le jardin des plantes de Nantes. La parole est au plus perché – au sens strict – des deux…

Ronan, pourquoi êtes-vous allé vivre 7 jours au sommet d’un chêne, à 25 mètres de hauteur ?

Ronan : « Pendant l’hiver 2021, je me demandais comment un végétal perçoit le monde. Cette question, je me la posais tous les matins. En même temps, je m’intéressais aux travaux de Philippe Descola, notamment à Par-delà nature et culture. Je me passionnais en même temps pour un autre personnage, Abraham Poincheval, un plasticien performer qui travaille sur l’immobilité et l’enfermement. Une association d’idées s’est faite dans ma tête. Je me suis dit : « Si je souhaite comprendre le point de vue d’un arbre, une notion de perspectivisme développée par Descola, je dois peut-être me mettre à sa place ». J’ai choisi d’être immobile, en hauteur, dans cet arbre, pendant 7 jours, pour essayer de toucher du doigt la condition végétale. »

Qu’avez-vous entendu là-haut ?

Ronan : « Moi qui m’intéresse à la notion de paysage sonore, j’ai entendu tout un écosystème. Un arbre est à la fois un individu et un écosystème. Beaucoup d’individus gravitent autour. Des oiseaux : des pics épeiches, des mésanges, des sitelles, des pics verts… J’ai entendu la tordeuse, cette chenille qui grignote les feuilles du chêne. J’ai entendu également la ville. Le chêne que j’ai choisi est dans la ville de Nantes. Je n’ai pas voulu partir à l’autre bout du monde mais, au contraire, étudier le sauvage qui est à proximité. Enfin, j’ai entendu mes propres pensées. Se donner le temps de vivre à la manière d’un chêne permet de plonger en soi pour examiner ce qu’on perçoit de la vie végétale. L’expérience était de trois ordres, entre la biophonie, l’anthropophonie et le son de mes propres pensées. »

Comment cette aventure nourrit-elle votre projet artistique, au sein du duo Labotanique ou en dehors ?

Ronan : « Ce projet, « Perché : perspectivisme végétal », a été pensé en trois temps. D’abord, cette expérience performative de 7 jours l’année dernière. Cette année, je donne des conférences qui relatent cette expérience et qui invitent le public à essayer de se projeter dans la condition végétale. Si les gens en ressortent en se questionnant sur le végétal, c’est super ; ce mode de vie est tellement différent qu’il est dur à appréhender. Actuellement, je suis en train de réaliser un podcast qui devrait paraître à l’automne 2023. Ce sera une série de 7 épisodes, un par jour, pour conserver la chronologie de cette aventure. Après, cette aventure vient aussi questionner le travail que je fais au sein de Labotanique avec Thomas Cochini. Dans ce duo, ce qui nous plaît, c’est d’étudier le son du monde, le son du vivant. On va réitérer cette logique d’expérience performative dans différents écosystèmes pour aller étudier ce son du vivant et voir à quel point il nous pénètre. En faisant ressortir des impressions, on aimerait composer un album in situ. Pour le projet « Perché », j’avais rédigé un protocole de recherche artistique. Lors de mes études d’agronomie, j’ai souvent étudié des protocoles de recherche scientifique. J’ai adapté cette méthodologie aux arts : il faut définir un cadre objectif, de manière à ce que la subjectivité artistique puisse s’en extraire pendant l’expérience. »

En parallèle, votre complice Thomas Cochini a conçu une pièce pour le jardin des plantes de Nantes, intitulée Le chant du Palmarium. Même si cette pièce se base sur des enregistrements réalisés en Guyane par Marc Namblard, on y entend très clairement la patte sonore du duo Labotanique…

Ronan : « Sur cette pièce, oui, Thomas a voulu mêler le field recording (même s’il n’a pas enregistré lui-même) et son approche de la synthèse sonore, via des synthétiseurs. Il y a donc des allers-retours entre le réel et les impressions que lui offre la nature. Pour parler de notre travail aujourd’hui, j’aime bien donner l’image des impressionnistes, qui sortaient de leur atelier avec leur chevalet et leur toile puis se laissaient imprégner de toutes sortes de sensations pour peindre. On a la même volonté aujourd’hui, via le projet « Perché », via Le chant du Palmarium, via les prochains projets de Labotanique, la volonté d’être au contact de la nature, de l’extérieur. Ca se ressent, ça s’entend, ça imprègne les idées de ces différents projets. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web du duo

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