Sans qu’on s’en aperçoive, un bouleversement a eu lieu en 1996 : un groupe de baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) vivant à l’est de l’Australie a adopté un chant venu d’un autre groupe, séjournant à l’ouest de l’île. En deux ans, le nouveau chant avait été adopté par tous et l’ancien avait disparu. Les scientifiques parlent d’une « révolution », par opposition au principe d’ordinaire infiniment plus long qui préside à l’évolution du chant de ces cétacés.
Chez les baleines à bosse, ce sont les mâles qui chantent. Leur chanson est longue, complexe et très structurée. Elle est commune à tous les mâles d’un même groupe, à de minuscules détails près. Jusque récemment, les spécialistes de ces mammifères marins, les cétologues, n’avaient observé qu’une évolution lente et progressive du chant. Il l’expliquait par des biais d’apprentissage, des erreurs de production, de petites innovations…
Une équipe de chercheurs de deux universités du Royaume-Uni, Royal Holloway (Londres) et St. Andrews (Ecosse), s’est penchée sur l’évolution de ces chants. Lies Zandberg, Robert F. Lachlan, Luca Lamoni et Ellen C. Garland viennent de publier à leur sujet un nouvel article : « Global Cultural Evolutionary Model of Humpback Whale Song ».
Selon les auteurs, aucun changement soudain de chant n’a été observé chez les baleines de l’hémisphère nord. Cela pourrait s’expliquer par la géographie. D’une part, les baleines de l’Atlantique nord ne communiquent pas avec celles du Pacifique nord. D’autre part, dans un océan comme dans l’autre, les groupes restent proches les uns des autres. Une variation minime de la mélodie chez les uns est donc vite adoptée par les autres, ce qui entraîne de lentes modifications du chant. Dans l’hémisphère sud, au contraire, le gigantisme des aires d’alimentation des environs du Pôle Sud réduit les contacts entre les populations voisines, qui ne sont pas non plus rassemblées par des masses continentales lorsqu’elles remontent vers les Tropiques pour la saison de la reproduction. La disposition des terres pourrait donc être le facteur déterminant pour expliquer qu’un groupe de baleines transforme son chant de façon révolutionnaire ou évolutive.
A lire Zandberg, Lachlan, Lamoni et Garland, on découvre des êtres assoiffés de nouveautés, capables, lors d’une rencontre inopinée, de s’enthousiasmer pour la chanson d’une population voisine. Merci à ces scientifiques de déchiffrer pour nous un pan de ce qui est bel et bien une « culture » : des pratiques vocales transmises d’un individu à l’autre puis partagées par toute une communauté…
Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin... Lire l'article « Global Cultural Evolutionary Model of Humpback Whale Song »