Alex Grillo glisse des grenouilles dans le gamelan

« C’était énorme ! » Le compositeur Alex Grillo a un souvenir impérissable de son premier séjour à Yogjakarta, au centre de l’île de Java, en 1997. « La preuve en est que, presque 25 ans plus tard, je continue à bricoler des choses avec ma javanité » explique-t-il. « Pour moi, ce voyage a été un événement très très important. J’étais invité par le centre culturel français en tant que musicien de jazz, de musique contemporaine improvisée. Je me suis retrouvé au centre d’un ensemble de gamelan dirigé par un musicien qui s’appelait – parce qu’il est décédé en 2009 – Sapto Raharjo. En une semaine, on a monté un répertoire. On a donné un premier concert, un deuxième pour l’ambassadeur à Djakarta, un troisième, puis on a enregistré un disque. Cette semaine-là est inscrite pour toujours dans ma vie ».

L’album en question s’intitulait Katak katak Bertanggo, soit « le tango des grenouilles ». « La grenouille joue un rôle très important dans la culture javanaise. Dans la musique de gamelan, on a une espèce de continuo rythmique qui est directement inspiré du chant des grenouilles » indique le vibraphoniste, qui, en dehors de ses aventures indonésiennes, a également collaboré avec Terry Riley, Luc Ferrari, Andy Emler ou Jean-Yves Bosseur. « Les grenouilles m’ont tout de suite fasciné » continue-t-il. « Je les ai enregistrées dans les rizières à la tombée de la nuit. Ce « field recording », comme on dit maintenant, termine l’album, avec l’appel à la prière. C’est une pièce magnifique… »

« Le chant des grenouilles javanaises est assez varié, comme le sont tous les chants de grenouilles » précise celui qui retourne sur l’île chaque année. « Il y a toujours des sons très différents. Entre le crapaud buffle et les petites grenouilles vertes, il y a d’infinies nuances. Parfois, on peine même à croire qu’un son vient d’une grenouille, tant il ressemble à celui d’un criquet ou d’une crécelle. Sur les flancs du Merapi, le volcan qui domine Yogjakarta, il y a énormément de rizières. A la saison des pluies, après un orage par exemple, le son d’ensemble est énorme. Le paysage compte également, la réverbération notamment. Quand le son est renvoyé dans l’espace, on a une sensation d’acousmonium, c’est-à-dire d’être au milieu de sources sonores qui nous encerclent. Cela donne un côté orchestral ».

(photo : Frédéric Nael)

Comme le gamelan, les grenouilles ne sont pas sorties de la vie d’Alex Grillo. Lorsque Radio France lui a commandé, en 2019, une série de très courtes pièces avec gamelan pour une émission de France Musique, « Création mondiale », il a proposé Kembalinya Katak Katak, soit « Le retour des grenouilles ». Lorsque le festival Détours du monde l’a invité pour son édition de 2021, il a suggéré de développer les miniatures de 2019 dans le même esprit, celui d’une adaptation de la musique pour gamelan, avec des percussionnistes dispersés dans l’espace et un vibraphone amplifié et modifié par l’électronique. Même instrumentation, donc, et même batracophilie : le spectacle créé à l’occasion du festival grenoblois s’intitule « Le réveil des grenouilles ».

Photo de têtière : Cénel et François Mauger
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