Anne Paceo : « Plonger change le rapport au monde »

L’adjectif « immersif » est à la mode. La moindre sortie, le moindre événement se doit d’apporter le petit frisson de l’immersion. Dommage : le mot aurait parfaitement convenu pour décrire le nouvel album d’Anne Paceo. La batteuse et compositrice, distinguée à trois reprises par les Victoires de la musique, a publié à la rentrée Atlantis, un disque de jazz inclassable, presque pop, incarné par les voix de Laura Cahen, Cynthia Abraham, Gildaa et Piers Faccini. Si l’adjectif « immersif » semblait si approprié, c’est que ce nouvel opus a été conçu sous l’eau. A défaut, les qualificatifs « fluide », « onirique », « délicieusement liquide » ou « proche de l’apesanteur » donneront une idée de ce qui le compose, même si le mieux est de laisser l’artiste faire les présentations…

La légende prétend que l’idée d’Atlantis, votre nouvel album, vous serait venue lors de plongées sous-marines. Faut-il croire la légende ?

Anne Paceo : « Ce n’est pas une légende. Je ne me suis pas dit « Tiens, je vais écrire un album ». J’ai simplement commencé à apprendre à plonger et, chaque fois que je sortais de l’eau, des mélodies me venaient en tête. Elles tournaient en boucle dans ma tête après chaque plongée. Au bout d’un moment, je me suis dit que j’avais toute la matière nécessaire pour faire un disque. »

Où avaient lieu ces plongées ?

Anne Paceo : « Les premières plongées ont eu lieu il y a 3 ans, au sud du Portugal, dans une eau bien froide et bien trouble. Puis je suis allée plonger partout où j’ai pu : en Corse, à Marseille, dans beaucoup d’endroits différents en France et en Europe. La musique est vraiment née de ces immersions. »

Que se passe-t-il sous l’eau, quand on est musicienne ? Est-ce le sens du temps – et donc du rythme – qui est le plus altéré ? Et en quoi cela change-t-il la musique qu’on crée ensuite, quand on s’est séché ?

Anne Paceo : « De nos jours, quand on habite dans les villes, il est de plus en plus dur d’être dans la contemplation. Plonger change le rapport au monde. Tout est plus lent. Tout est ralenti. Et paradoxalement, le temps passe vite : on remonte au bout de cinquante minutes en ayant l’impression qu’on n’est resté que dix minutes. Il y a un autre rapport au temps, à la sensation et cette impression – que les humains perdent de plus en plus – d’être connecté à la nature, d’être connecté au monde qui nous entoure et d’en faire vraiment partie. Je trouve que c’est le mal de notre temps : on oublie qu’à la base, on est des animaux. On est dépendant du monde qui nous entoure, de la nature, de la planète… Etre dans l’eau, faire corps avec l’eau rappelle des sensations qui devraient être à la base de notre humanité mais qu’on finit par oublier. »

Vous avez réalisé vous-même la vidéo qui illustre Remember avec des images de méduses. Comment vous y êtes-vous prise ?

Anne Paceo : « Ce sont mes propres images. C’est tout simple : je suis allée dans des aquariums et j’ai filmé les bassins à méduses pendant un bon moment. En plongée, il aurait été compliqué de me retrouver dans un banc de méduses pareil. »

C’est d’ailleurs assez mystérieux : je ne vois pas de titre intitulé Remember sur Atlantis.

Anne Paceo : « Non, c’est un morceau bonus. On l’a enregistré pendant les sessions d’Atlantis mais je ne suis pas parvenue à lui trouver une place dans l’histoire que je racontais. Aujourd’hui, beaucoup de gens écoutent un titre ou deux dans des playlists mais, pour moi, un disque, c’est vraiment une narration. Je réfléchis beaucoup. Je me prends beaucoup la tête pour raconter une histoire qui a un début et une fin, que ce soit vraiment une traversée. D’autant plus sur cet album, pour lequel j’avais la volonté de survoler mon Atlantis. C’est l’un de mes titres préférés mais je ne savais pas comment l’insérer dans la narration. »

Et les sons du ressac ou des baleines, viennent-ils d’enregistrement ?

Anne Paceo : « Non. Tout est joué sur ce disque, tout ce que vous pouvez entendre. C’était le défi de cet album : rappeler les mondes marins. Contrairement à tous mes autres albums, qui contiennent des sons enregistrés à droite ou à gauche, absolument tout ce qui est sur Atlantis est joué ou chanté. »

Vous avez donné à cet album le nom d’une île mythique, engloutie probablement en raison de sa corruption et de son matérialisme. Est-ce un avertissement ?

Anne Paceo : « Je trouve que ce sont des questionnements qu’on doit avoir aujourd’hui. Je le disais : l’humain se déconnecte de plus en plus de son environnement. Au risque de paraître radicale, je trouve que certaines formes d’activités de l’humanité pourraient être comparée à celles des virus. Nous détruisons notre propre écosystème. C’est quand même hallucinant ! L’écosystème qui nous permet de vivre, on est en train de l’épuiser. Ce titre n’est peut-être pas un avertissement mais il vient d’une réflexion sur notre temps, sur la période qu’on est en train de vivre. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web d'Anne Paceo

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