4 x 3 = 12. La musique pratique elle aussi les mathématiques et, parfois, des artistes parviennent au même résultat. Au printemps, Awa Ly publiait un bel album consacré aux 4 éléments, vus chaque fois sous 3 angles différents, soit un total de 12 thèmes. Sapocaya fait le même calcul mais l’applique au Brésil, en centrant son projet sur l’Amazonie. Entre les mains de cette dizaine de musiciens, les éléments menacent et chantent, entre floraison et destruction. Le percussionniste, compositeur et arrangeur de ce premier album présente son projet…
Comment un groupe de jazzmen parisiens se retrouve-t-il sous le nom de Sapocaya ?
Tristan Boulanger : « C’est un groupe qui a été fondé par Jamayê Viveiros et moi-même, il y a à peu près 2 ans. Sapocaya est le nom d’un arbre emblématique du Brésil. Jamayé étant de nationalité franco-brésilienne, il a grandi avec cette culture là. On a fait un voyage au Brésil ensemble, il y a 2 ans. Suite à ça, on a eu envie de créer un groupe de musique brésilienne pour représenter la très grande diversité musicale de ce pays, au-delà des rythmes qu’on connaît ici : le samba, le forro… Il y a tellement de traditions qu’on a voulu toutes les faire entendre. »
D’où vient votre intérêt pour l’Amazonie ?
Tristan Boulanger : « Plus que d’un intérêt pour l’Amazonie, je parlerais d’un hommage, en tout cas pas d’une réappropriation des traditions amazoniennes. Cet album, c’est aussi, bien sûr, un clin d’œil aux thématiques actuelles, telles que la déforestation. Pour sa création, on a traité les 4 éléments de la nature en pensant à l’Amazonie. C’est en se basant sur ces éléments qu’on a pu élaborer un répertoire avec des musiciens invités, Carlos Malta, Matu Miranda ou Thaís Motta, et finalement produire cet hommage. »
Musicalement, par où commence-t-on quand on veut faire le portrait des forces primaires de la nature ?
Tristan Boulanger : « On n’a pas la prétention d’arriver à retranscrire parfaitement tous les états de la nature. Ce serait impossible. On a essayé de baser notre vision sur les 4 éléments puis de diviser ces éléments en 3 états, sous la forme d’une gradation. L’eau, par exemple, commence par la pluie, puis passe par l’averse, avant de devenir l’inondation. Même chose pour le feu : de la braise à la flamme, de la flamme à l’incendie. J’ai essayé de transcrire ce mouvement dans mes arrangements, en faisant appel au figuralisme par moments. J’ai aussi essayé de retranscrire certains éléments de façon … Je ne peux pas dire « sacrée » parce que ce n’est pas de la musique sacrée conventionnelle, mais au moins spirituelle. On s’est en effet inspiré des orishas, les divinités de la religion du candomblé. Ces orishas représentent par moments le feu, l’eau, le vent. On a remarqué qu’il y a un rythme qui est associé la célébration de ces divinités. C’est aussi comme ça qu’on a pu incarner certains éléments. Je pense, par exemple, à Shango, qui est le dieu du feu. Il a un rythme précis, l’aluja. Il y a plein de petites références comme ça… »
Vous avez parlé de « figuralisme »…
Tristan Boulanger : « C’est un terme musicologique qui sert pour l’époque baroque. Le figuralisme consiste à imiter la nature de façon littérale, en traduisant ses sons avec les instruments. Par exemple, imiter la pluie avec des pizzs pour les cordes ou le grondement du tonnerre avec des percussions. »
Le disque est très imprégné des divers courants de la musique brésilienne. A-ton raison d’y entendre des échos du travail d’Hermeto Pascoal, qui nous a quittés il y a quelques mois ?
Tristan Boulanger : « Effectivement. On a écrit quelques lignes à son sujet dans les notes de pochettes. Il a été ma source d’inspiration musicale principale. Il tirait son inspiration des éléments de la nature. Je le considère comme le maître des arrangements. Il a imprégné tout un pan de la musique par ses harmonies, sa liberté. »
Photo de têtière via Pixabay