Philippe Festou : « L’écoute est un enjeu de société »

Voilà un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Il n’inclut ni sexe ni violence, rien qui l’interdise aux moins de 16 ans, mais, au contraire, tout ce qui pourrait l’interdire aux impatients, à celles et ceux qui n’imagineraient jamais prendre un moment pour écouter leur environnement. Ni badinage ni suspens, donc, dans le bien peu romanesque L’oreille au monde de Philippe Festou mais des exercices d’écoute et une réflexion tous azimuts (y compris politique) sur le monde qui nous entoure. Présentation par l’auteur, qui est compositeur, directeur artistique de l’ensemble Yin Martigues-Marseille Métropole et du festival Vagues Sonores…

Qui est le « je » qui parle ?

Philippe Festou : « J’aime dire que, dans ce livre, tout est réel, tout est vrai. Ce que j’ai interchangé, c’est, des fois, le contexte des situations, pour des questions de narration. Mais le « je », c’est moi, c’est ma personne. J’avais démarré avec un autre personnage, à la troisième personne, puis, au fil du livre, je me suis aperçu qu’il était plus simple que je sois plus impliqué dans l’écriture. »

Donc, le « je » est un compositeur quadragénaire ou quinquagénaire…

Philippe Festou : « Quinquagénaire, oui ! »

… qui traverse une petite partie de l’Europe pour se livrer à des exercices d’écoute.

Philippe Festou : « C’est ça. En partant de Marseille, dans une situation pandémique qui évoque évidemment le Covid (anagrammé, comme beaucoup d’autres noms, en Codex indu vif). Cette situation d’enfermement obligatoire est un peu pesante. Le fait de partir écouter le monde est une forme de libération. Le voyage passe d’abord par Paris, puis par le sud de l’Italie et finit à Martigues. »

Il est beaucoup question dans ce livre d’apprendre à percevoir. Est-ce si difficile ?

Philippe Festou : « Je crois, oui, je crois. C’est tout l’enjeu de notre monde. Le monde va très vite, il y a beaucoup d’informations, autant visuelles qu’auditives. Le son surcharge l’atmosphère. On a du mal à discerner les choses. On a du mal à s’écouter, à se comprendre. Oui, l’écoute est vraiment un enjeu de société. En tout cas, ce qui compte, c’est de retrouver les voix d’accès à l’écoute. Ce livre repose sur une forme d’utopie, qui est expérimentée avant l’écriture (depuis toujours, d’ailleurs) : comment retrouver le sens de l’écoute ? »

Qu’est-ce que la « kairophonie » et que la « kairotopie » ?

Philippe Festou : « Ce sont des mots-valises. « Kairotopie », c’est le lieu (« topos » en grec) du moment propice (« kairos »). Cela correspond au choix d’un cadre d’observation, qui peut être visuel ou auditif. Le cadre permet l’observation sonore (« kairophonie ») et, dans cette observation sonore, j’élabore une série de formes d’écoute, sous forme d’exercices quelquefois, ce qui nous extrait un peu du contexte du roman. »

Quelle vie ces deux concepts ont-ils hors du livre ? Sont-ils à la base de vos compositions ?

Philippe Festou : « Oui, effectivement, c’est une démarche de création conceptuelle mais c’est vrai qu’elle continue à m’influencer, à influencer mon écriture musicale elle-même. Une fois que l’observation est posée, avec certains niveaux d’écoute (je les ai nommés du niveau 1 au niveau 4), il y a une façon d’observer les événements sonores, les phénomènes sonores, et surtout de ne pas les hiérarchiser. On a tendance souvent à repousser certains sons qui ne seraient pas dits « musicaux », qui sont appelés « bruits ». Il y a là une tentative de les considérer à parts égales. Ensuite, une fois qu’ils sont considérés, on peut les analyser de façon individuelle, dans l’espace de ces 4 niveaux. Enfin, on peut essayer de retrouver les relations d’un son à l’autre. Quelle relation entretient le son d’un avion qui passe avec, je ne sais pas, une cloche d’église ? Est-ce que ces deux sons, qui paraissent distants dans l’espace, ont une relation qui apporte du sens ? Ce genre de question influence ma façon d’écrire la musique. »

Vous citez de nombreux auteurs (dommage qu’il n’y ait pas de bibliographie). J’ai vu passer à plusieurs reprises les noms de Pascal Quignard, de Raymond Murray Schafer…

Philippe Festou : « De façons différentes, ils sont nombreux à m’avoir influencé. Dans mon parcours, celui qui a été le plus cataclysmique, ça a été Pierre Schaeffer. Son travail sur la matière sonore, sur l’objet, m’a beaucoup influencé. Je crois que c’est la base de tout. Tout objet est considéré de façon potentiellement musicale. Ça m’a fasciné au départ. Raymond Murray Schafer un petit peu moins. J’ai trouvé intéressante la question du paysage sonore mais je la trouve pas assez aboutie à certains endroits. Il y a aussi beaucoup de compositeurs que je cite, comme Jean-Claude Risset ou Hugues Dufourt. Ils ont eu une grande importance dans mon parcours… »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web des éditions Delatour, qui publient L'oreille au monde

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