4 minutes 33 avec John Cage

Le 29 août 1952, le pianiste David Tudor prend place devant son instrument, sur la scène du Maverick Concert Hall de Woodstock. Il a 26 ans. Il doit créer 4’33, la nouvelle œuvre d’un compositeur légèrement plus âgé, John Cage, qui fêtera ses 40 ans l’automne suivant. Le public le voit ouvrir sa partition mais n’entend rien, rien de ce qu’il s’attendait à entendre. Il ne distingue que l’atmosphère de la salle, le toussotement des voisins, l’agacement qui s’installe, quelques spectateurs qui partent… Et pour cause, la partition, découpée en trois mouvements chronométrés (de 0’00 à 0’30, de 0’31 à 2’53, de 2’54 à 4’33), ne donne qu’une indication : « tacet » (« il se tait » en latin).

On ignore en combien de temps David Tudor s’est préparé à cette performance. Mais, pour John Cage, 4’33 est le résultat d’années de réflexion. Jean-Yves Bosseur, qui lui a consacré une monographie, rappelle qu’ « en 1949, Robert Rauschenberg avait tenté une expérience similaire avec des toiles totalement noires et d’autres totalement blanches (…). En fait, comme Cage l’éprouva avec le son (et plus tard Nam June Paik avec le film), Rauschenberg avait pu observé qu’une toile n’est jamais totalement vide, et que, même sans une quelconque intervention, elle attire des réflections, des poussières, des ombres ». Le musicologue réveille également le souvenir du passage de John Cale « dans une chambre anéchoïde de l’université de Harvard. Il souhaitait alors entendre ce qui se passe dans un lieu totalement privé de sons et avait été surpris de percevoir en réalité deux phénomènes acoustiques, l’un aigu et l’autre grave, qu’il ne parvenait pas à identifier. Ces bruits n’étaient rien d’autres que les sons de son propre corps, produits respectivement par le système nerveux et par la circulation du sang (…). Dès lors, plutôt que d’opposer son et silence, il semble plus juste de distinguer les sons que nous produisons intentionnellement de ceux qui surviennent indépendamment de notre volonté ».

C’est fou le nombre de questions qui peuvent naître en 4 minutes et 33 secondes… Qu’est-ce que la musique ? D’où vient-elle ? Qu’est-ce qui, au contraire, n’est pas de la musique ? Où est la limite ? Pourquoi ne pas s’intéresser aux signaux sonores de ses voisins ? De son environnement ? Comment la musique peut-elle s’articuler avec ces signaux ? Les temps que nous vivons rendent ces questions plus pertinentes que jamais…

Photo : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin...
Jean-Yves Bosseur : John Cage (Minerve)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *