Climate Music Project : « Nous créons une musique « informée scientifiquement » »

Jusqu’à présent, le « Climate Music Project » de San Francisco avait échappé à presque tous les regards de ce côté de l’Atlantique. L’association existe pourtant depuis 2014, a déjà contribué à la création d’une dizaine de nouvelles œuvres et organise des concerts dans le monde entier. Présentation de cette institution par son fondateur, Stephan Crawford…

Pourquoi avez-vous créé « Climate Music Project » ?

Stephan Crawford : « Climate Music Project a été créé pour offrir un point d’entrée facilement accessible au grand public, afin qu’il puisse s’engager sur la question du changement climatique. La science du climat est multidisciplinaire et complexe et, pour beaucoup, le changement climatique reste donc une menace abstraite et difficile à comprendre. La musique, en revanche, est familière et parle à la plupart des gens. Elle constitue donc un vecteur idéal pour communiquer des informations essentielles sur l’évolution de notre climat. Notre innovation consiste à créer une musique « informée scientifiquement », associée à des éléments visuels et à des ressources associées, afin d’offrir à notre public une compréhension viscérale et émotionnelle des principales perspectives climatiques. Notre objectif ultime est d’obtenir un large soutien du public à des actions climatiques rapides au cours de cette décennie. C’est pourquoi nous avons développé nos propres ressources pour l’action climatique et collaborons activement avec des organisations œuvrant pour le climat. En fait, j’ai créé « Climate Music » en 2014 avec une petite équipe de collègues, dont nos premiers scientifiques et notre premier compositeur. Aujourd’hui, notre équipe compte une quarantaine de personnes issues des sciences, des arts, des technologies et des politiques publiques, qui se concentrent sur différents aspects de notre travail. Nous sommes actuellement une organisation majoritairement bénévole, avec une petite équipe qui gère nos opérations quotidiennes. »

Comment les musiciens peuvent-ils prendre en charge le discours – principalement scientifique – à propos du changement climatique ?

Stephan Crawford : « Nous avons un processus spécifique par lequel nos artistes collaborateurs, qu’ils soient compositeurs ou interprètes, collaborent activement avec une équipe de scientifiques. La première étape consiste à développer un récit autour d’un aspect spécifique de l’urgence climatique, par exemple les causes humaines de la crise, l’élévation du climat et du niveau de la mer, les solutions climatiques… Ensuite, les artistes collaborateurs reçoivent des explications scientifiques de haut niveau, afin d’identifier les principales idées à communiquer à travers la musique. Cela permet également de s’assurer qu’ils sont en mesure de parler de leur travail au public. Ensuite, toute l’équipe pluridisciplinaire se lance dans un long voyage à travers le processus de composition, à travers des débats, à travers le test des meilleures façons d’exprimer musicalement les idées-clés. Cela peut se faire de deux manières, toujours renforcées par des éléments visuels : par des sonifications de données (audifications et cartographie des paramètres) ou par des paroles. Il est important de souligner que notre musique n’est pas « axée sur les données ». La collaboration active avec l’équipe scientifique est au cœur de notre processus, car les scientifiques offrent une compréhension globale de la signification des données dans le monde réel, ce que les chiffres seuls ne permettent pas. Les concerts que nous produisons comportent généralement trois éléments. Ils commencent par une introduction contextuelle par l’un de nos scientifiques collaborateurs, pour préparer le terrain pour la performance. Vient ensuite la performance, suivie d’un temps de dialogue avec le public. Ce segment final comprend souvent des questions adressées à nos musiciens, aux scientifiques participants et aux représentants des organisations partenaires de lutte contre le changement climatique. »

Est-ce que cela fonctionne ? Est-ce que vous parvenez vraiment à faire changer les mentalités ?

Stephan Crawford : « Nous savons que notre travail a touché des milliers de personnes dans au moins 30 pays jusqu’à présent, et nous pensons que beaucoup, sinon la plupart de ces personnes, ont parlé de cette expérience avec leurs amis, leur famille et leurs collègues. D’ailleurs, lors de certaines représentations, les spectateurs sollicitent leurs réseaux ou rencontrent des membres d’organisations locales pour apprendre à agir concrètement. Les témoignages des spectateurs nous prouvent que notre musique a souvent un impact émotionnel. Or, nous savons qu’il faut souvent une réponse émotionnelle à un défi pour susciter un changement de pensée et de comportement. Nous appelons cela une approche « du cœur à l’esprit ». Il est important de souligner que notre objectif n’est pas d’inciter à des « changements de mode de vie » mais plutôt d’éduquer, d’inspirer, puis de connecter les gens à diverses manières de s’engager. Cela pourrait signifier en apprendre davantage sur le problème, en parler à ses amis et à sa famille, s’engager civiquement en faveur d’une politique climatique positive, percevoir les nombreux avantages d’un comportement positif sur le climat dans sa vie personnelle… »

De quelle réalisation musicale êtes-vous le plus fier jusqu’à présent ?

Stephan Crawford : « Je suis heureux qu’il y en ait beaucoup ! Pour n’en citer que trois… Notre toute première représentation publique a été un moment fort, car l’accueil extrêmement positif du public, dans la salle comble du planétarium, nous a donné la confiance nécessaire pour poursuivre. Notre première représentation internationale – à Mexico, lors d’un événement de la Banque mondiale réunissant des participants de 100 pays – a été mémorable, tant par l’ovation qu’elle a suscitée que par la résonance de notre travail au plus haut niveau international. Enfin, nous avons récemment créé un concerto pour violon avec l’Orchestre symphonique du Dakota du Sud, dans une région des États-Unis où nous n’étions jamais allés. Plus de 1 000 spectateurs enthousiastes ont assisté à la représentation et lui ont réservé une standing ovation debout enthousiaste. Cette représentation a confirmé qu’il existe un public pour notre travail au-delà du public habituel des « activistes pour le climat ». »

Photo de têtière : François Mauger
Autres photos (de haut en bas) : Première de "On the Brink" par l'orchestre symphonique du Dakota du sud, avec la soliste Elissa Cassini / Concert en 2016 à la cathédrale de San Francisco (par Ashlyn Perri)
Pour aller plus loin...
Le site web de Climate Music Project
Le concerto pour violon joué dans le Dakota

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