Le 8 juin est la « journée mondiale des océans ». Cette décision a été prise par l’Assemblée Générale des Nations Unis en 1992 lors de la Conférence sur l’Environnement de Rio de Janeiro. Ça tombe bien : nous sommes aussi au cœur de « l’année (française) de la mer » et de « l’année France-Brésil ». Pour célébrer cet alignement des astres, la soprano Clara Bellon organise à la Salle Cortot un hommage à Antonio Santana, un compositeur inspiré par la nature et les profondeurs marines. Le Brésilien installé à Paris depuis 40 ans détaille dans un français chantant ses sources d’inspiration…

Qu’évoquent les compositions qui vont être jouées le 8 juin ?
Antonio Santana : « Ces pièces ont été écrites il y a quelques années. Canto selvagem (« chant sauvage » en français) parle de l’Amazonie, de l’exubérance de la nature, de ses couleurs, de la diversité de ses chants des oiseaux. La flore et la faune y sont complètement différentes de celles d’Europe. Ce Canto selvagem essaie de rendre compte du caractère intrépide de la nature au Brésil, surtout en Amazonie mais aussi dans différentes régions. Minha terra (« Ma terre ») parle aussi de la beauté du Brésil. L’Oiseau a été écrit sur un texte de Bernard Chotil. C’est un extrait d’Un chant pour la planète, une œuvre écrite il y a déjà 25 ans, en hommage à la nature. J’ai toujours été très inspiré par la sérénité, le calme et le bien-être que la nature nous apporte. En même temps, je suis arrivé en France en 1985, en tant que pianiste, pour travailler sur les musiques de Ravel et Debussy. L’impressionnisme m’intéressait. Maintenant, j’ai presque plus vécu en France qu’au Brésil. Mais je garde cette double culture, qui est une grande richesse. Je ne me vois pas comme un compositeur de musique brésilienne, je refuse cette étiquette. J’ai aussi écrit d’autres œuvres, nées d’autres sources d’inspiration. Et je ne suis pas le seul compositeur à préférer la notion d’universalisme à un enfermement dans la culture de son pays d’origine. Aujourd’hui, on voyage d’avantage et on se renseigne d’avantage sur les enjeux mondiaux. »
Sans vouloir vous renvoyer trop soudainement au Brésil, une question sur vos sources d’inspiration : avez-vous été voir et écouter l’Amazonie ?
Antonio Santana : « Non, malheureusement, je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller. Je connais évidemment le nord du Brésil. Je ne connais l’Amazonie que par les récits que m’ont fait mes amis et par les milliers d’images que j’ai vues. Quand on vit au Brésil, on est très imprégné de cette nature. La forêt est un peu partout (certes pas avec la même intensité). Quand j’étais petit, mes parents avaient une immense ferme. Je voyais un bout minuscule de cette nature mais, dans l’enfance, je me suis habitué à vivre au contact de la nature. Ensuite, quand on vit dans son pays d’origine, on a l’impression de ne pas être aussi touché par les événements qui s’y déroulent que les exilés. On a la sensation d’avoir une personnalité propre. C’est en France que je me suis aperçu qu’on est très formaté par la culture de notre pays, par sa langue, par nos habitudes. A l’étranger, on ne voit plus les choses de la même façon. Je me suis d’avantage intéressé à ce patrimoine naturel une fois en France. Je voyais des paysages différents et je m’apercevais que ma sensibilité était particulière. »
Un pianiste va également jouer une composition dédiée à l’océan…
Antonio Santana : « La voix des océans est une commande. J’ai eu la chance de rencontrer Pierre Mollo, qui est un biologiste marin, grand spécialiste du plancton. Il est venu à Paris assister à l’un de mes concerts. Nous donnions mon Requiem. En sortant, il m’a dit « C’est incroyable ! Il y a beaucoup d’émotions qui se dégagent de votre écriture. J’ai un projet : je souhaite sensibiliser le grand public à la vie des océans ». Il avait envie de montrer ses images de plancton et il cherchait une musique qui pourrait les accompagner. Il m’a invité en Bretagne, à Quimper. Il m’a initié à la vie du plancton. J’ai fait un stage à ses côtés pendant une semaine. Il m’a montré les paysages et la mer, qui n’est pas évidemment pas la même que celle que je connaissais au Brésil. On a beaucoup discuté et j’ai travaillé plusieurs mois. L’œuvre a été créée il y a une petite dizaine d’années à Port-Louis, en plein air. C’était magnifique, parce qu’on avait la mer à côté. Le succès a été énorme, autant dans la presse qu’auprès du public. Les images projetées sont d’une beauté à couper le souffle et, pendant 45 minutes, on est plongé dans cet univers. On commence par les abysses et on va jusqu’aux eaux claires. Toute la vie défile devant nous. Saint-Saëns avait écrit le Carnaval des animaux, un ami compositeur m’a dit « Antonio, tu as écrit le « Carnaval des animaux de la mer » ». Ça n’a rien à voir, ce n’est pas du tout le même genre de musique mais ce titre pourrait être utilisé, effectivement. Pierre m’avait dit « Je veux une musique d’écriture savante mais elle doit être accessible ». L’enjeu était d’intéresser de jeunes enfants ou des adultes et pas uniquement une petite catégorie de personnes initiées. J’ai donc écrit une musique généreuse, qui peut toucher le public. Ce pari a été gagné. Récemment encore, une femme qui avait amené ses deux petits-fils me disait « Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas entendre cette œuvre un peu partout », parce que ses petits-enfants lui demandaient « Grand-mère, est-ce qu’on pourra la réécouter ? ». Dimanche, nous allons donner une version pour piano solo de deux mouvements de La voix des océans, joués par Daniel Propper, qui est un pianiste remarquable. »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web qui présente le concert salle Cortot
Le site web d'Antonio Santana
Après avoir écouté le Requiem, je fus fascinée par la musique d’Antonio Santana. « Les voix de l’océan » est une œuvre envoûtante, absolument fantastique. Ce qui est aussi très important – elle est accessible à un public non-professionnel. Je suis scientifique et je suis complètement emportée par cette œuvre.