Mangroove Music : « La musique est un vecteur fort de récit »

La superficie des mangroves diminue d’environ 1 % par an a-t-on appris à la cinquième conférence « Mangrove Macrobenthos and Management », à Singapour, en 2019. Pourtant, cet ensemble d’écosystèmes composés de palétuviers aux longues racines et quadrillés par des crabes représente un élément crucial pour le stockage du carbone. Un label discographique vient de naître pour le défendre. Sa première production, un duo réunissant Oumou Sangaré et Youssoupha, est sortie à la mi-novembre. Les bénéfices issus de l’exploitation de ce titre seront reversés à l’ONG Eclosio qui lutte pour la protection des mangroves d’Afrique de l’Ouest. Mais Olivier Covo, le fondateur de Mangroove Music, voit plus loin, bien au-delà des seules mangroves. Il détaille son projet ici…

Comment a commencé l’aventure de ce label, Mangroove Music ?

Olivier Covo : « Le label est né dans la mangrove, au Brésil. J’aidais des amis pour un festival de kite surf. Ils avaient des problèmes avec les peuples locaux, parce qu’ils voulaient faire traverser la mangrove aux spectateurs. Je leur ai conseillé de diffuser plutôt le festival sur Internet, surtout la finale, et, pour chaque personne qui payait pour y assister par ce biais, de planter un arbre, un palétuvier à leur nom, dans la mangrove. Ça a cartonné. On a planté beaucoup de palétuviers. Avec les populations locales, on a commencé à ramasser les sacs plastiques sur la plage et à redéployer la mangrove. Comme je suis par ailleurs résident aux studios Ferber, je me suis dit qu’on pourrait lier la musique et la régénération des écosystèmes. Vu que, dans ma vie, j’ai eu plusieurs expériences, que j’ai notamment dirigé un centre de recherche sur l’impact du son, je me suis rendu compte que la musique est un vecteur très fort de récit. Elle impacte les gens à plusieurs niveaux – au plan cognitif, au plan émotionnel, au plan physiologique – et il y a une vraie réponse affective. Je me suis donc dit « Aujourd’hui, on est dans un monde en métamorphose ; le traitement de l’information est très anxiogène ; on est dans un monde très mental, alors que la musique permet de toucher le cœur des gens ». Pour moi, la question est : comment développer des récits incarnés (parce que les récits qui ne sont pas incarnés restent des rêves) ? En partant de l’idée de travailler dans la musique et, avec les bénéfices, de financer les projets terrain, petit à petit, on est allé beaucoup plus au fond des choses, en se disant que les projets terrain pouvaient nourrir les artistes, que ces artistes pouvaient développer des récits et que cela pouvait devenait un cercle vertueux. Ce projet permet de fédérer les populations sur le terrain, puisqu’on parle d’eux, qu’on les met en valeur. Cela apporte aussi un éclairage très fort sur les ONGs qui travaillent, ce qui leur permet de levers des fonds supplémentaires. Mais cela permet aussi de planter du beau, du réel dans le cœur des gens, ce qui les amène à s’engager. Cerise sur le gâteau : cela génère des bénéfices pour financer les projets. »

Pourquoi dites-vous que Mangroove Music est le premier label musical « à impact positif, social et environnemental » ?

Olivier Covo : « Je l’ai appelé « label musical », parce qu’en France, on aime bien mettre des étiquettes, mais, en fait, c’est bien plus qu’un label. En gros, que fait-on ? On crée des œuvres. Pour un projet terrain, il y a une ou plusieurs œuvres. Pour ces œuvres, on aimerait avoir toujours deux artistes, un grand frère ou une grande sœur et un jeune padawan, issus de deux continents différents. Derrière cette œuvre, il y a un récit, il y a un texte, comme vous avez pu l’entendre sur le premier titre. Derrière encore, il y a un podcast. Ce podcast permet d’aller un petit peu plus loin, de faire parler les ONGs, les gens sur le terrain. On met en relation le processus créatif, le récit, avec l’impact sur le terrain. Ensuite, il y a un mini-documentaire, qui montre les trois phases de ce qu’on fait, en commençant par la phase d’acculturation des artistes. Il faut savoir qu’on fait travailler les artistes avec des scientifiques, des chercheurs, des experts, des shamans, des gens issus des peuples racines, pour les acculturer. Il y a ensuite une phase de production créative. On va montrer comment on travaille avec eux en studio. Enfin, dans ce mini-documentaire, il y aura aussi les images de l’impact sur le terrain. Notre approche est écologique dans le vrai sens du terme. Je n’aime pas le terme « environnemental » parce que l’être humain n’est absolument pas séparé de son environnement ; il fait partie du vivant comme les non-humains. Ensuite, va sortir un dernier élément, un documentaire. On part cette fois du terrain. Avant de mettre en présence Oumou Sangaré et Youssoupha d’un côté, et, de l’autre côté, les 500 000 hectares de mangrove (et les 320 000 emplois qu’il y a derrière), on a été sur le terrain et on a montré pourquoi ces espaces devaient être régénérés. Aujourd’hui, des coopératives de pêcheurs se montent pour préserver les ressources. Pourquoi ? Parce que la pêche pirate en haute mer réduit le nombre de poissons sur le bord des côtes. En protégeant les mangroves, on régénère la ressource en poissons. Pourquoi les villageois créent-ils des nurseries d’huîtres ? Parce que leurs ancêtres avaient coupé les racines des mangroves. Aujourd’hui, ils savent que le système racinaire des mangroves absorbe beaucoup de CO2, 40% de plus qu’une forêt normale, et ils protègent ces mangroves. La culture d’huître a un évidemment un impact social ; ça fait vivre les familles. Ils cultivent même du miel dans la mangrove. Avec la musique et le récit qu’on crée avec les artistes, on développe une approche éditoriale holistique, qui permet d’abord de toucher le cœur des gens, puis leur esprit, puis leur corps et, en fin de compte, de les engager. Les gens, en écoutant le morceau ou en faisant de micro-donations, vont permettre de financer les projets sur le terrain. »

La première de vos productions a été un duo du rappeur français Youssoupha avec la chanteuse malienne Oumou Sangaré. Pourquoi eux ?

Olivier Covo : « Ce qu’on a choisi en premier, si vous voulez, ce n’est pas le duo. Ce qu’on a choisi en premier, ce sont des projets. Mangroove Music a trois programmes. Le premier s’appelle « One song, one forest ». C’est un programme sur trois ans de protection et de régénération d’écosystèmes forestiers à haute valeur écologique. Dans ce programme-là, il y a 9 projets. Bientôt, on va lancer les autres programmes : « One song, one ocean », puis « One song, one earth ». Sur « One song, one forest », notre partenaire est la fondation du prince Albert II de Monaco. Ce partenaire a un très bon comité scientifique, avec des experts reconnus dans leur domaine. Chaque année, ils font remonter des projets terrain. Ils nous les envoient. Nous avons-nous aussi un comité d’évaluation des projets, qui réunit des artistes et des experts autour de deux critères. Le premier est éthique : ce sont les valeurs que nous défendons (le collectif, la protection de l’environnement, le caractère apolitique, la neutralité religieuse…). L’autre est artistique : ces projets peuvent-ils être adoptés par les artistes ? Pour chacun des programmes qu’on développe, on a une fondation partenaire, un parrain ou une marraine et des artistes engagés. Alors, pourquoi Oumou Sangaré et Youssoupha ? D’abord parce que Youssoupha a de la famille au Sénégal et vit au Kinshasa. Ce sont des pays où il y a des mangroves. De l’autre côté, Oumou Sangaré vit au Mali, où il n’y a pas de mangrove. On a passé pas mal de temps avec elle à parler de ces écosystèmes. Dans la chanson, elle explique que l’arbre de la mangrove est un arbre totem, que c’est un grand frère qu’il faut protéger pour qu’il nous protège nous-mêmes. Oumou et Youssoupha avaient envie de travailler ensemble et ça s’est fait assez naturellement. »

Finalement, quel est le rôle de votre label ?

Olivier Covo : « Quand on a travaillé avec Youssoupha et Oumou Sangaré, notre travail a vraiment été de les nourrir sur le sujet de la mangrove, pour qu’ils fassent ressentir le monde dans leur art. Quand Youssoupha est arrivé dans le studio, il nous a tout de suite dit « Ecoutez les gars, je suis complètement vidé, je sors de l’enregistrement d’un album ; je ne sais pas si je vais y arriver parce que je n’ai plus grand-chose à dire ». Notre travail a été de passer beaucoup, beaucoup de temps avec lui. Quand il dit « Il ne faut pas confondre la fin du monde et la fin de l’humanité » ou « Nous sommes tous vivants en même temps », il dit des choses qu’on lui a transmises d’une manière plus scientifique ou plus spirituelle. Plutôt que d’un « label musical », il faudrait parler d’un « label écologique pour la musique ». Notre rôle est de travailler sur les imaginaires. Aujourd’hui, notre imaginaire est encore celui des 30 glorieuses : le rêve américain, le cow-boy Marlboro ou le techno-solutionnisme… Nous, on essaie de montrer que de super belles choses se font partout dans le monde, de montrer qu’il y a de l’espoir, de montrer que le vrai sujet, c’est l’équilibre de tous les ingrédients du vivant. C’est vraiment ça notre rôle. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Mangroove Music

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