Le design peut-il nous aider à mieux écouter les oiseaux ?

Vous ne connaissez pas l’ornitho-design ? C’est normal, cela n’existe pas. Ou pas encore, puisqu’un étudiant de l’école Boulle y travaille. Lounès Amossé vient de publier un court mais très beau mémoire intitulé « Des oiseaux et des hommes », dans lequel il réunit des informations de toutes natures à propos des chants d’oiseaux. Il a notamment interrogé à ce sujet l’audionaturaliste Fernand Deroussen, qui publie le document sur son site web. Quelques questions à l’apprenti-designer, avant qu’il ne commence à donner des réponses concrètes aux questions qu’il se pose…  

D’où vient ce projet atypique, « Des oiseaux et des hommes » ?

Lounès Amossé : « Avant d’être un mémoire, ce projet est le reflet de mon enfance et de mes apprentissages auprès de mon grand-père. J’ai grandi près de Nantes, où certains espaces sont relativement préservés. J’ai donc eu assez tôt un lien avec l’environnement sonore et avec les oiseaux. J’ai appris progressivement à les nommer et à les reconnaître par le chant et par le comportement. Cela fait maintenant trois ans que j’étudie à l’école Boulle, une école de design d’objets, à Paris. Pour l’année de diplôme, on consacre un semestre au mémoire, qui devient un livre, puis plusieurs mois au projet qui est une réponse aux problématiques soulevées dans le mémoire. J’ai décidé de m’intéresser spécifiquement aux chants d’oiseaux et de produire une étude philosophique, anthropologique autour de la relation de l’homme aux chants d’oiseaux. »

Vous écrivez dès les premières lignes que l’humain se fie trop à sa vue, pas assez à son ouïe. C’est étrange pour un étudiant de l’école Boulle, une école supérieure d’arts plastique appliqués…

Lounès Amossé : « Oui, on pourrait le penser mais le design ne comprend pas qu’une dimension plastique. Ce qui est intéressant, dans le design sonore notamment, c’est qu’on essaie de déconstruire certaines façons de percevoir notre environnement. A Paris ou dans les milieux urbains, on se fie exclusivement à la vue. Moi, je perçois en premier les signaux sonores des feux, destinés aux aveugles, avant de voir le piéton rouge qui me dit de ne pas traverser. C’est une question d’attention des sens. Ce qui est génial, c’est que le design est une discipline très ouverte, demandeuse de nouvelles façons de s’ancrer dans le monde, autrement que par un biais purement plastique. »

Dessins de l’auteur

Vous décrivez de façon très poétique la grande diversité des chants d’oiseaux, et notamment la diversité des chants chez un même individu. Selon vous, le chant des oiseaux est-il un phénomène naturel ou culturel ?

Lounès Amossé : « Je ne suis pas ornithologue, c’est par des rencontres que j’ai réuni des informations sur ces chants. Je pense que le chant des oiseaux – et c’est très important pour moi – nait de l’instinct. Je pense que le chant des oiseaux naît de l’instinct. Quand on l’anthropomorphise, quand on crée un projet autour de ce chant, il faut rester fidèle à cet instinct. Le chant est une énonciation située, adressée, née du besoin naturel de communiquer pour survivre. Le rendre culturel, cela se passe dans le regard humain. Il me semble très important d’être fidèle à la réalité et de conserver la relative simplicité de ces chants, dans leur relation avec leur écosystème. »

Dessin de l’auteur

Ce mémoire a été l’occasion de belles rencontres : Fernand Deroussen, les Chanteurs d’oiseaux, le fabricant d’appeaux François Morel… Comment avez-vous choisi ces grands témoins ?

Lounès Amossé : « Je les ai choisis parce que je connaissais leur travail. Ce sont trois approches qui sont très différentes et, finalement, complémentaires, quand on veut un panorama de la relation humaine aux chants d’oiseaux. Ils ont tous fabriqué des outils propres à leur pratique. Cela va de l’outil corporel (les Chanteurs d’oiseaux se sont conformés physiologiquement aux chants, pour les reproduire), à l’appeau, un outil artisanal qui permet d’avoir un dialogue avec l’oiseau, et aux outils plus extérieurs de Fernand Deroussen, qui ne fait pas intrusion dans la vie de l’oiseau mais enregistre son chant pour le garder en mémoire. Il est intéressant d’avoir ces trois rapports-là. Je leur ai posé les mêmes questions, en m’adaptant à leur pratique. Cela me permet d’avoir trois regards différents sur des problématiques qui m’intéressent : que faire dans un monde où beaucoup d’oiseaux disparaissent ? Que faire dans un monde où l’on est moins ancré dans son environnement ? Comment retrouver l’émotion des chants d’oiseaux ? »

Dessin de l’auteur

Comment, effectivement ? Quelle va être la suite de ce mémoire ? Comment allez-vous essayer de réconcilier les hommes et les oiseaux ?

Lounès Amossé : « Les cinq prochains mois vont être consacrés à cette question-là. Ma soutenance de mémoire approche. Je commence déjà à avoir un peu de recul. Je vais produire un objet de design. Ce n’est pas nécessairement un objet en tant que tel : cela peut être un dispositif, un cours… J’ai défini une charte de ce que pourrait être ce que j’appelle « l’ornitho-design », le design porté sur l’ornithologie. J’ai repéré ce qui pouvait conduire à un design trop artistique ou à un design trop scientifique. C’est pour moi un équilibre très important. La prochaine question est celle de l’outil. Comment m’outiller pour repenser le dialogue entre l’usager et le chant d’oiseau ? Cela peut passer par l’appeau. J’ai eu un très bon contact avec François Morel, que je suis allé voir dans la Drôme. J’ai aussi pris contact avec une musicienne qui a analysé tous ses appeaux sous le prisme musical. Cela peut m’aider, d’un point de vue technique, pour concevoir des appeaux qui relieraient l’usager au chant. Il faudrait alors penser une activité ou un contexte d’utilisation pour faire de la pédagogie à propos de deux ou trois espèces à un moment précis, comme l’aurore. Il y a plein de choses qui trottent dans ma tête en ce moment mais c’est par la question de l’outil, à mon avis, que je dois commencer. »  

Image de têtière : François Mauger
Dessins extraits du mémoire Des oiseaux et des hommes
Pour aller plus loin...
Télécharger le mémoire de Lounès Amossé dans les brèves du site web de Fernand Deroussen

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