A lire : « Son et sentiment » de Steven Feld

Héros-Limite, une maison d’édition genevoise, publie cet automne la première traduction française d’un grand classique de l’ethnomusicologie, annonciateur de l’ « acoustémologie », cette attention portée aux interactions des êtres à travers l’écoute et les sons. Son et sentiment entraîne le lecteur dans la forêt du Bosavi, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Personnage fascinant, à la fois ethnomusicologue et jazzman, Steven Feld y a longuement côtoyé les Kalulis, un peuple qui possède une sensibilité acoustique exceptionnelle. Par un jeu d’écoute et d’imitation, ils créent entre les arbres un espace d’écho dans lequel, à travers chants, rites et danses, s’expriment leurs sentiments. L’une des traductrices (ils se sont partagés le travail à cinq) explique son intérêt pour ce texte

Pourquoi avez-vous souhaité traduire ce livre ?

Christine Ritter : « Pour plusieurs raisons. La première est que c’est un livre important pour les études du son, ce qu’on appelle les « sound studies ». C’est l’un des premiers livres d’ethnologie qui parle spécifiquement du son. Notre souhait était de rendre ce livre accessible au monde francophone, même si aujourd’hui beaucoup de personnes parlent l’anglais. La deuxième chose qui nous a intéressé, c’est que c’est un livre qui se trouve à la croisée entre le domaine académique et le domaine artistique. Nous, les traducteurs, nous sommes aussi un peu dans cette position-là. C’est l’une des raisons pour lesquelles ce livre nous a particulièrement séduit. On a aussi, bien sûr, une certaine fascination pour l’auteur et pour le monde qu’il décrit. »

Ce monde, c’est celui du peuple Kaluli, de Nouvelle-Guinée. Qu’a-t-il de particulier ? Son rapport à ce qu’on appelle, nous, « l’environnement » ?

Christine Ritter : « La particularité, c’est qu’il n’y a justement pas de séparation entre les hommes et la nature ou l’environnement. C’est vraiment un tout. Même en l’exprimant ainsi, je ne rends pas vraiment justice à la fusion des Kalulis dans leur milieu. »

Le mot « oiseaux » est le premier mot du sous-titre du livre. Que représentent pour les Kalulis ces animaux qui fascinent tant de musiciens ?

Christine Ritter : « Ces oiseaux sont des messagers. Ils délivrent des messages qui viennent d’un autre monde, notamment de défunts. Quand on a rencontré Steven Feld, il nous a raconté que, quand ils se baladaient dans la forêt, il pouvait arriver qu’un Kaluli s’arrête au son d’un oiseau, parce qu’il délivrait un message. Ils sont tout de suite extrêmement touchés par le message délivré. Les oiseaux jouent vraiment un rôle de messager entre les différents mondes. Lors de leurs cérémonies, certains Kalulis se transforment en oiseaux pour pouvoir eux aussi capter les messages de cet autre monde, de cette autre dimension. »

Ce texte est, à l’échelle de nos sociétés, relativement ancien : il date de la fin des années 1970. Quels échos trouve-t-il dans notre époque, 50 ans plus tard ?

Christine Ritter : « Je reviens justement sur cette cérémonie des morts. Il y a dans ce livre un rapport très spécifique à la mort. La question de la mort, qui occupe une part importante de leur quotidien, redevient très présente dans nos sociétés. Communiquer avec des défunts, avoir un lien avec un autre monde, tout cela trouve un écho dans de nouveaux ouvrages sur le chamanisme aujourd’hui. Ces questionnements prennent de l’ampleur. Un autre élément que j’ai déjà mentionné : notre envie actuelle de ne plus séparer l’homme de la nature, illustrée par des auteurs comme Baptiste Morizot. Ils cherchent à réunir l’homme, même dans nos manières de nous exprimer : il ne faut plus dire « Je vais me promener dans la nature » puisque, quelque part, on y est tout le temps. Ne plus vouloir de séparation entre l’homme et la nature, l’homme et son environnement, c’est quelque chose de très actuel. Pour les Kalulis, c’est une évidence, alors que, pour nous, ça ne l’est plus. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web des éditions Héros-Limite
Le site web de Christine Ritter

Commentaires

  1. Bernard Fort a écrit :

    Bravo et merci pour cet article

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