Aux 4 Ecluses, la durabilité en BD

Les 4 Écluses, la salle de concerts de Dunkerque, coche toutes les cases. Gourdes réutilisables pour les artistes, gobelets lavables au bar, bières bio et locales, participation au cercle régional Culture et Développement Durable… Pourtant, lorsqu’elle a fait son bilan carbone, le compte n’y était pas. Le hic ? Les déplacements des spectateurs, bien trop polluants. Chargée des actions culturelles, des projets de coopération et de la RSE, Angèle Chaumette explique pourquoi la structure a décidé de faire appel au talent – flagrant ! – d’un auteur de bandes dessinées, Gautier DS, pour en parler au public…

D’où est venue l’idée de cette bande dessinée ?

Angèle Chaumette : « Nous sommes investis depuis plusieurs années dans une démarche de questionnement de la durabilité dans le secteur artistique, et plus particulièrement dans le secteur de la musique et des concerts. On a fait notre bilan carbone. On a eu la chance de pouvoir être accompagné pour cela par l’association The Shifters. Ce n’est pas une surprise : c’est la mobilité qui pose le plus de problèmes en termes d’impact environnemental. On cherchait un moyen d’expliquer ça à nos spectateurs et, de façon plus générale, à toutes les personnes qui sont amenées à travailler avec nous, que ce soient les artistes, les partenaires associatifs… On s’est dit qu’une bande dessinée pouvait être une bonne façon d’aborder la question. C’est un pas de côté, ce n’est pas rébarbatif, ça préserve cet esprit un peu fun que nous voulions garder. C’est un moyen d’aborder de façon légère des sujets difficiles, qui peuvent être sources d’angoisses ou de culpabilité. La personne qui nous a accompagnés pour le bilan carbone était d’accord : cela permet de garder le juste ton sans perdre de vue qu’on parle de données scientifiques et qu’il ne faut donc pas dire n’importe quoi. On s’est mis au travail avec Gautier DS, un artiste de notre réseau, graphiste, illustrateur et plasticien. »

Comment réagit votre public ? Sentez-vous un début de prise de conscience ?

Angèle Chaumette : « Il y a plusieurs niveaux de prise de conscience… Sur les réseaux sociaux, par exemple, on a eu des retours très positifs. Les gens ont trouvé que c’était un super outil ; ils nous ont dit qu’ils ont pris conscience de choses auxquelles ils n’avaient pas nécessairement pensé ; ils ont ri avec nous de ces personnages qui sont des archétypes mais qui sont attachants. Par la suite, on a eu de bons retours des professionnels. La Fedelima, la Fédération des Lieux de Musiques Actuelles, a relayé les bandes dessinées sur ses réseaux. Beaucoup de professionnels ont salué l’initiative. Eux aussi se posent la question de la meilleure façon de parler de leur démarche au grand public. Finalement, je ne sais pas si on peut parler d’une prise de conscience du public. Beaucoup de personnes sont déjà conscientes que ces questions nous intéressent et nous parlent. La durabilité fait partie de notre projet associatif. Dans notre salle de concerts, il y a de nombreux indices de cet engagement : produits locaux, gourdes, gobelets… Notre démarche n’est pas de donner des leçons. Nous, on essaie de faire des choses au sein de notre structure mais c’est un peu vain si les personnes qui fréquentent notre salle ne sont pas elles aussi actrices du changement qu’on essaie d’instiller. »

Quelle sera la prochaine étape pour les 4 Ecluses ? D’autres planches de bande dessinée ?

Angèle Chaumette : « Pourquoi pas ? Même si le problème est aussi financier… Nous sommes un lieu dédié aux musiques actuelles ; nous avons fait le choix de dédier des moyens à la fois humains et financiers à cette démarche mais on doit d’abord utiliser notre argent pour mettre en place nos nombreuses activités autour de la musique. Néanmoins, une nouvelle planche de bande dessinée n’est pas exclue. D’autres sujets pourraient être traités de cette façon, telles que l’inclusivité ou la parité. Comme le climat, ce sont des sujets qu’il vaut peut-être mieux aborder par une bande dessinée que par une charte que personne ne lira. En fait, l’équipe des 4 Ecluses a un plan d’action interne. On essaie de s’investir sur des tâches de plus ou moins longue haleine et de plus ou moins grande envergure pour avancer vers la réduction de nos déchets et de notre impact environnemental, vers la sobriété énergétique, vers plus d’inclusivité… Nous parlons de durabilité au sens le plus large, pas uniquement au sens écologique. Au moins une fois par trimestre, on consacre une journée à une question qu’on soulève. L’année dernière, par exemple, on a visité un matin une station d’épuration de l’eau et, l’après-midi, on a fait un atelier thématique. On a également consacré une journée à la prévention des violences sexistes et sexuelles. On essaie régulièrement de prendre des temps en équipes pour que ce soit un effort collectif et pas juste quelques lignes dans le projet associatif. »

« Là où on a un super levier à mettre en action, c’est sur la question de la narration, du récit. C’est aussi pour cela que la BD a été un outil qui nous a très vite parlé. Nous, en tant que structure culturelle, on est convaincu que la meilleure façon d’agir, c’est de raconter des récits différents et de montrer que de nouvelles façons de penser le monde et la manière dont on vit dans ce monde sont possibles. Cela passe par la façon dont on organise les événements, comment on les médiatise, comment on les construit… Très prosaïquement, que met-on à la carte de notre bar ? Que raconte-t-on à travers notre charte graphique ? Quelles valeurs a-t-on envie de véhiculer ? C’est presque du « soft power » ! Le secteur des concerts n’est pas le plus impactant en termes d’environnement mais il a une énorme force de frappe : il peut raconter des histoires différemment. Ce qui est hyper intéressant, c’est d’inventer des événements qui correspondent à nos valeurs de convivialité, d’inclusivité et de durabilité et qui sont vecteurs de changements de comportements, individuels et collectifs. En été, on a mis en place des ballades à vélo : on emmène les gens voir des concerts dans des espaces naturels ou des lieux patrimoniaux atypiques. L’événement est festif, sympathique et musical et, en même temps, il montre qu’on peut se déplacer à vélo, que c’est agréable et peu dangereux. De la même façon, on a inventé les « veillées de l’îlot », qui sont des concerts acoustiques, sans électricité. Les gens se posent dans des transats et les artistes jouent à la lumière d’un brasero et de bougies. C’est peut-être un peu idéaliste mais on veut montrer qu’on peut revenir à des expériences sobres et à taille humaine. Un moment artistique agréable, ce n’est pas forcément des lance-flammes sur scène et 250 choristes ! On cherche un équilibre entre tout ça… »

Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web des 4 Ecluses
Le site web de Gautier DS

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