S8jfou : « Je suis minimaliste, je recherche l’autonomie, la vie simple »

Notre époque a tort de sous-estimer Diogène. Le philosophe grec n’a pas laissé derrière lui les écrits qui valent à Aristote et à Platon de traverser les siècles mais sa pensée continue de résonner en secret dans les marges de nos sociétés. Provocateur vivant dans une grande jarre couchée, à demi nu, Diogène vivait avec le strict minimum. Ses compagnons, les chiens, ont donné leur nom au mouvement qu’il incarnait, le cynisme (du grec « kynikos » : pareil au chien).

Intituler « Cynicism » son album de 2020 était pour S8jfou (dont le nom se prononce « suis-je fou ? ») une façon de revendiquer son héritage. La pochette de l’album montrait une cabane au flanc d’une montage enneigée, comparable à celle que le jeune producteur de musique électronique s’était construite pour s’éloigner de la société. « Ma recherche d’autonomie est une quête politique et personnelle. Elle ne se nourrit que de la volonté de ne dépendre d’aucune forme d’Etat, ni de contrôle, et de me permettre de ne pas avoir à travailler pour vivre, dans le seul but de créer davantage » explique S8jfou. « Je suis minimaliste, je recherche l’autonomie. La vie simple, les petits espaces. Je pense que les gens devraient vivre dans leurs abris de jardin. »

S8jfou devant sa cabane (photo : Yvan Le Pays)

En 2022, S8jfou a quitté les Pyrénées pour la Bretagne, où il s’est construit un bateau. Créer de la musique et se fabriquer ses lieux de vie ou ses moyens de transport relèvent pour lui de pratiques parfaitement comparables. « Aujourd’hui, j’associe la production de ma musique sur ordinateur à une forme d’artisanat, car je crée moi-même mes outils et mon interface dans un premier temps, avant de pouvoir composer et créer des morceaux avec » précise-t-il. « C’est cette démarche – partir de zéro – que je poursuis et qui me procure les mêmes émotions que construire une maison pour y dormir. Sur énormément d’aspects, l’ordinateur me rend plus libre. A commencer par ma dépendance à l’énergie. Chez moi, je n’ai qu’une seule prise électrique, et il n’y a que le soleil qui me permette de produire. L’hiver, ça ne pose pas de problème, je peux composer presque tous les jours. Avec un studio et des instruments physiques, ce serait impossible. Mais ce qui fait de l’ordinateur un instrument unique, c’est son ouverture aux autres. Rendre accessibles et gratuits les outils qu’on se fabrique, pouvoir participer à l’utopie de l’open source avec des instruments libres et une bibliothèque géante pour tout créer, rien de tout ça n’est possible avec les instruments physiques. C’est ce qui fait la force de l’ordinateur. Vous pouvez devenir artiste et produire des dizaines d’albums, même les mixer et les masteriser, juste en achetant pour une centaine d’euros un ordinateur d’occasion encore assez performant, et en ayant du temps. C’est ce qui selon moi se rapproche le plus de la liberté dans la musique électronique et qui n’est pas accessible avec d’autres outils. »

(photo : Romulo)

Cet automne, S8jfou publie un nouvel album, Op​•​Echo, réalisé en limitant drastiquement le nombre d’applications utilisées. « J’ai réduit mes ressources à un seul logiciel, Ableton Live, et seulement à deux outils qui y sont inclus. Il s’agit d’Operator, un synthétiseur FM, et Echo, un delay qui reproduit la bande magnétique » précise-t-il. « Ma motivation principale était de progresser et aussi de montrer à ceux qui m’écoutent qu’avec pas grand-chose et en prenant son temps, on peut réussir à fabriquer des émotions ». Objectif atteint : les médias spécialisés (Gonzaï, Big Wax…) saluent Op​•​Echo comme un coup de maître.

Le disque est en accès libre sur Internet et S8jfou annonce sur sa page Bandcamp que les « ventes digitales serviront à aider l’Ukraine jusqu’à ce qu’elle gagne cette guerre ». L’artiste affirme n’en avoir pas besoin pour vivre : « Je ne paie pas de loyer, je ne donne pas d’argent à EDF, je vais chercher l’eau à la source et mon vélo fonctionne très bien. Les poubelles des supermarchés sont remplies de nourriture. La totalité de mes dépenses fixes mensuelles se réduit un nombre à deux chiffres. Je vivrais confortablement en ne faisant qu’un seul concert par mois. Vous savez », ajoute-t-il, « pour les artistes qui, comme moi, ne sont personne, ce n’est pas avec les revenus des plateformes capitalistes que l’on peut imaginer vivre. Je veux donc simplifier la tâche aux gens qui comme moi rêvent d’un accès à la culture et à l’art gratuit et universel ».

Pour autant, S8jfou refuse d’être associé aux mouvements de protection de l’environnement. « Je n’ai vraiment pas du tout conçu ma cabane pour des raisons écologiques. Je l’ai fait parce que Thoreau, Alexander Supertramp, Hakim bey et la solitude m’appelaient. Si la façon dont je mets en place cette autonomie semble écologique, c’est simplement que les normes de confort n’ont aucune limite. La bicyclette existe depuis 150 ans et aujourd’hui des humains vont au travail sur une trottinette au lithium en racontant que c’est du « transport vert » et que c’est plus facile dans les montées. Jamais je ne me suis défini comme un écologiste, à aucun moment de ma vie, ni dans aucune interview. C’est un terme que je refuse d’endosser. Je ne crois pas en l’avenir de l’Homme et je pense que la planète s’y prend très bien pour nous expulser naturellement, au grand malheur des animaux. »

S’il vivait encore, Diogène aurait-il accepté d’être qualifié d’écologiste ? Pas sûr, pas sûr du tout…

Photo de têtière : détail d'une photo de S8jfou par Budovitch
Pour aller plus loin...
La page Bandcamp de l'album

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