Que retenir de 2022, l’année des feux ?

Ce magazine en ligne a publié 110 articles en 2022, soit 110 regards sur la façon dont la musique change pour s’adapter aux mutations du monde. S’adapter ou même les devancer, tant ces 365 derniers jours auront prouvé que, collectivement, nous n’étions pas assez préparés à ce qu’il s’est passé et ce qu’il se passera ensuite. Nous en avions pourtant parlé, nous avions lu des livres, visionné des documentaires, mais les images des feux de forêt en Gironde, dans les Bouches-du-Rhône et jusqu’en Bretagne sont parvenues à nous surprendre. Plus de 785 000 hectares sont partis en fumée dans l’Union européenne cette année. Nous les avions prévues et pourtant les premières pénuries d’énergie – et notamment les files d’attente devant les stations services – nous ont déstabilisés.

Dans un monde où se multiplient les conflits, y compris aux portes de l’Europe, nombre d’artistes tentent de réparer l’avenir : plutôt que des confrontations, ils proposent des connexions. La compositrice Aline Pénitot, par exemple, a proposé en juin des concerts dans les piscines, pour se laisser pénétrer par les mélodies des baleines. Dans son opéra, Like Flesh, la compositrice Sivan Eldar a fait chanter la forêt. Matthew Burtner, lui, est allé jouer avec les glaciers de l’Alaska. Sur son nouvel album, le trompettiste de 80 ans Wadada Leo Smith a plongé sa trompette dans le corail. Finalement, tout ce qui vit ou gémit peut avoir voix dans la musique d’aujourd’hui : les arbres chez l’Estonienne Elis Hallik, le fleuve Saint-Laurent chez Mathieu David Gagnon, le vent chez John Luther Adams, les fleurs de Londres chez Erland Cooper, les globicéphales chez ErikM… La flûtiste Anne Cartel et la pianiste Marie Vermeulin ont remonté le fil des partitions récemment inspirées par des chants d’oiseaux, honorant notamment François-Bernard Mâche sur un disque qui restera comme l’un des sommets de l’année.

Dans un tout autre genre mais avec un même succès, Björk s’est connectée aux champignons sur Fossora, un album arrosé par des geysers de techno. La vaste scène des musiques électroniques l’a suivie de près. Nils Frahm a publié un disque intitulé Music for animals. JoyCut a planté une forêt. S8jfou a poursuivi ses aventures en pleine nature. Un collectif de DJs a réalisé une compilation pour la fondation Bye Bye Plastic, un autre, Gogo Green, une série de titres calés sur la fréquence préférée des végétaux, rejoignant ainsi les préoccupations de Jean Thoby, l’organisateur du Festival International de Musique des Plantes, et du producteur argentin Rodrigo Tamay.

La quête des sons du vivant s’est poursuivie sur tous les continents. Iga Vandenhove – prix Phonurgia Nova 2022 – est allée enregistrer en Bolivie, Stéphane Marin en Colombie, Anne Versailles en Laponie. Comme à son habitude, Fernand Deroussen était partout à la fois, contribuant notamment à l’exposition-événement « Musicanimale » à la Philarmonie de Paris. Un forum – « Pour protéger les sons du vivant » – a eu lieu en marge de l’exposition, faisant écho au Forum des paysagistes sonores de Lyon et au rendez-vous grenoblois « Paysages composés ».

Le reste du monde n’est pas resté muet. Le Brésilien Caetano Veloso a mené la fronde pour l’Amazonie. Les Congolais de Fulu Muziki ont joué avec les déchets. Les maîtres des musiques hindoustanie et carnatique ont donné des concerts dans des habitats naturels menacés. Le Sénégalais Sahad s’est intéressé à notre écologie spirituelle.

Du côté du rock, Midnight Oil a publié un ultime disque particulièrement bien nommé : Resist. Leurs compatriotes de King Gizzard and the Lizard Wizzard ont remporté le premier Environmental Music Prize. Nick Cave, Beck et Damon Albarn ont chanté pour les oiseaux. Billie Eilish a organisé un événement de très grande taille à propos du changement climatique : « Overheated ». Brian Eno a conseillé à tous ceux qui l’écoutent encore de retomber amoureux. Modern Nature a fait presser son nouvel album, Island of sounds, sur du vinyle recyclé. Placebo est passé du romantisme noir à l’éco-anxiété. Shearwater s’est inspiré des voyages du tatou. Parquet Courts a chanté la vie des plantes. En France, Shaka Ponk a quitté la scène, mettant un terme à ce qu’il présente comme « une parenthèse artistique décalée au milieu d’une société sérieusement « dysfonctionnelle », fondée sur la consommation », et Fragments a imaginé le voyage d’explorateurs dans des terres rendues à la nature.

Belle moisson également dans le pré voisin, celui du folk. Le quatuor new-yorkais Florist a enregistré un album touchant sur le porche d’une maison isolée, dans la vallée de l’Hudson. Lou Turner a cherché et trouvé dans son environnement le plus immédiat une constellation de mondes merveilleux. L’Anglais Sam Lee a emmené comme chaque année de petits groupes de mélomanes dans les bois pour des concerts avec les rossignols. Souad Massi a avoué que, pour elle, « la nature a toujours été une source d’inspiration importante ». Dans l’hexagone, les projets discographiques de Talamh et de Geofffrey Le Goaziou sont venus rappeler la proximité avec la nature de la plupart des adeptes de la musique folk.

Toujours en France mais sur son versant « chanson », Dominique A a fait part à tous de ses inquiétudes à propos du Monde réel, Albert Marcœur s’est élancé sur la « Piste aux oiseaux » et LeChapus s’est moqué de notre addiction au plastique en utilisant les techniques de lutherie sauvage de Max Vandervorst.

La musique classique n’a pas été en reste. L’ensemble La Rêveuse a cherché parmi les partitions de la fin de l’ère baroque des mélodies inspirées par les oiseaux ; ils en ont rapporté de vraies splendeurs réunies sur un excellent disque à paraître en février. Ewan Campbell a réécrit un classique de Mendelssohn, Les Hébrides, effaçant des notes sur la partition au fur et à mesure que la population de baleines décline. Le ténor Vincent Karche a pratiqué la sylvothérapie en forêt. L’ensemble suisse Capella Itineris a marché de concert en concert. Les 16 musiciens de l’orchestre Les Forces Majeures ont parcouru 250 km à vélo. La mezzo-soprano états-unienne Joyce DiDonato a fait distribuer un sachet de graines à chacun des spectateurs de son nouveau récital. La violoncelliste Olivia Gay a publié un recueil d’œuvres inspirées par la nature, au profit du fonds de dotation de l’Office National des Forêts. Les Quatre Saisons de Vivaldi sont devenues un baromètre du changement climatique et la « Pastorale » de Beethoven a continué d’inspirer les musiciens de ce siècle.

Toutes ces initiatives sont dispersées. Aucun mouvement ne les unit, si ce n’est, peut-être, la sensation souterraine d’avoir à prendre les devants et la conscience qu’il est urgent de proposer de nouvelles façons d’habiter la terre. Qui sait si, dans 10 ou 20 ans, les critiques ne s’accorderont pas pour dire que c’étaient ces œuvres-là qu’il fallait retenir de l’année 2022 ?

Photo de têtière : François Mauger

Commentaires

  1. OLIVIER COVO a écrit :

    Magnifique papier qui donne chaud au coeur ! Nous oeuvrons pour créer un espace coordonné et coopératif sur ces sujets. Un espace pour repenser et panser le monde. Plein des sujets et que vous pointez de l’oreille sont là et les artistes sont aussi ici pour nous faire ressentir la beauté et la fragilité du monde avec leur Art. Pour le poétiser. Merci à eux pour cela. Olivier Covo. Mangroove Music.

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