Les Quatre Saisons, baromètre du changement climatique ?

Elles fêteront l’année prochaine leurs 300 ans mais semblent n’avoir jamais été autant d’actualité : les Quatre Saisons de Vivaldi sont au cœur de plusieurs projets actuels ou récents. Le violoniste et chef d’orchestre Jean-Christophe Spinosi a, par exemple, bâti un festival autour du chef d’œuvre du compositeur vénitien. Intitulé « Overview effect », du nom de l’effet qui frappe les cosmonautes lorsqu’ils voient pour la première fois la planète Terre tourner seule dans l’espace, l’événement a eu lieu du 31 mai au 3 juin au Théâtre de l’Atelier, à Paris. Avec l’ensemble Matheus, le musicien a imaginé de nouveaux arrangements des Quatre Saisons, intégrant des instruments traditionnels égyptiens et des effets électroniques. Chaque concert était introduit par un expert des grands enjeux écologiques invité à partager sa vision des années à venir. Une vision généralement sombre, comme l’indique la bande-annonce du festival…

Un autre violoniste, le virtuose franco-serbe Nemanja Radulovic, avait déjà associé les Quatre Saisons et les dérèglements climatiques en 2021, en ouverture des Chorégies d’Orange. Il avait même ajouté à son programme une cinquième saison, reprenant une suite composée par le Serbe Aleksandar Sedlar peu après la catastrophe de Fukushima.

Le lundi 30 mai 2022, l’îlot grec inhabité de Délos a lui aussi entendu résonner le grand classique de Vivaldi, renommé pour l’occasion «les incertaines Quatre Saisons». L’événement était co-organisé par le World Human Forum et l’Alpha mission Delos puis diffusé par la chaîne franco-allemande Arte, dans l’espoir de «sensibiliser le monde au besoin urgent de régénération de notre planète».

Dans le nord de l’Italie, la dixième édition de Trame Sonore, le festival de musique de chambre de Mantoue, a donné lieu le samedi 4 juin à un grand concert sur la Piazza Santa Barbara. Cette fois, les Quatre Saisons étaient rebaptisées « For seasons ». Cette nouvelle version, initialement conçue pour la Philharmonie de l’Elbe, l’emblématique salle de concert de Hambourg, ajoute à la partition l’écho des données scientifiques relatives au changement climatique depuis le dix-huitième siècle, grâce au travail d’artistes sonore, de développeurs de logiciels et d’arrangeurs musicaux.

Mais les Quatre Saisons de Vivaldi dépeignent-elles réellement le climat de l’année de leur création, 1723 ? Dans l’essai Nature et musique, Emmanuel Reibel analyse très finement les codes de représentation de l’environnement qu’utilise le compositeur vénitien. « On pourrait songer aux paysages d’Italie du Nord », écrit-il, « il arrivait souvent à Vivaldi de parcourir la campagne vénitienne en diligence, notamment lorsqu’il était invité dans les résidences estivales des aristocrates pour lesquels il composait. Mais est-ce cette nature-là qui l’inspira ? C’est peu probable ». En réalité, les sonnets qui accompagnent les concertos peignent un âge d’or où des bergers poètes dansaient avec les nymphes. Les Quatre Saisons renvoient à un monde idyllique, à des temps immémoriaux, bien plus qu’aux réalités mesurables que nous étudions aujourd’hui. Cela ne retire rien à la perfection de la partition, cela l’empêche seulement de servir de baromètre. Se rapporter au Printemps, avec ses chants d’oiseaux et ses passages de troupeau, à l’Eté, avec son soleil qui provoque l’engourdissement des bergers, à l’Automne, avec sa danse des vendanges, ou à l’Hiver et à sa glace qui craque sous les pas, c’est se référer au plus beau mais au moins scientifique des fantasmes…

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de l'ensemble Matheus
Le site web présentant "For Seasons"

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