Jonathan Meiburg, le chanteur de Shearwater, a pris du recul. Il a cessé de ferrailler sur le front du rock indépendant, dont il était pourtant l’un des plus fringants mousquetaires il y a six ans, à l’époque de Jet Plane and Oxbow (Sub Pop Records). Il a voyagé, écrit un livre, travaillé sur une adaptation de la trilogie berlinoise de David Bowie et monté un groupe parallèle. Ce printemps le voit revenir profondément changé. Sa musique aussi a évolué. Plus flottant, plus ouvert, son nouvel album, The Great Awakening épouse d’autres rythmes, ceux de la brume qui monte sur les flancs d’une montagne ou de la floraison des plantes. Il donne ici quelques-unes des clés d’un disque magnétique…
Vous publiez un album plus doux, plus intimiste que les précédents. Est-ce l’effet du confinement ou simplement de l’âge ?
Jonathan Meiburg : « Je pense que ce n’est que l’effet de ma curiosité naturelle. Je ne pense jamais deux fois la même chose et je veux produire une musique vivante. Mes disques préférés donnent l’impression qu’ils écoutent l’auditeur et c’est ce que nous avons essayé de faire à notre tour. Par ailleurs, les deux disques de Loma sur lesquels j’ai travaillé depuis la parution du précédent album de Shearwater ont réellement été émancipateurs : ils ont ouvert mes oreilles à de nouveaux sons et de nouvelles approches de l’écriture et de la composition. »
Pourquoi avoir intitulé l’un des premiers singles « Xenarthran » ? Que vous inspirent ces petits mammifères ?
Jonathan Meiburg : « Nous ne voulions pas penser en termes de « singles » sur ce disque et j’aimais l’idée que le premier extrait ait un nom que personne ne peut prononcer, pas même moi. Les xénarthres sont des mammifères qui se distinguent par leurs articulations étranges et qui vivent pour la plupart en Amérique Latine : les tatous, les fourmiliers, les paresseux… Ils ne sont pas tous petits. Il y avait autrefois des tatous et des paresseux géants, aussi grands que des voitures. Une seule espèce de tatou a atteint le sud des Etats-Unis et, pendant que nous enregistrions The Great Awakening au Texas, je les ai vus courir dans les champs au crépuscule ou renifler la boue après une pluie. Je ne pouvais m’empêcher de les admirer. Ils ont parcouru des milliers de kilomètres sur leurs petits pieds délicats, se faufilant dans des paysages étrangers pleins de dangers inconnus. La chanson ne parle pas exactement de tatous mais elle parle bien de se frayer un chemin à travers un monde menaçant mais magnifique. »
Ce morceau se termine par un court extrait d’un enregistrement de singes hurleurs, réalisé en Guyane. Est-ce que vos voyages ont nourri cet album ?
Jonathan Meiburg : « Oui. Voyager vous rappelle constamment tout ce que vous ignorez. Faire des recherches pour mon livre (NdA : The Hidden Life and Epic Journey of the World’s Smartest Birds of Prey, paru en 2021, à propos du Caracara huppé) m’a permis d’avancer vers une vision plus large du monde et m’a emmené dans des endroits que je n’avais même jamais imaginés. La forêt tropicale est plus étrange et plus complexe que n’importe quelle ville. A côté de ses sons, la musique humaine semble primitive. »
Un autre titre intrigue : Detritivore. Cherchez-vous, par vos titres, à introduire des décalages entre ce qu’on entend et ce qu’on imagine ?
Jonathan Meiburg : « Je crois que les titres devraient ajouter du sens (ou du mystère) à une chanson. Un détritivore se nourrit de ce que d’autres créatures jettent ou laissent derrière eux. Pour moi, cela correspond à l’ambiance de la chanson, qui rappelle ce genre de moment : vous avez conduit toute la nuit, le soleil se lève à nouveau et vous êtes toujours loin de votre destination. Ce morceau contient également une partie d’un long instrumental du même nom, que nous avons discrètement publié sur notre page Bandcamp…»
Que représente pour vous la pochette de l’album ? Un monde déserté par les humains ? La ruine de toutes les civilisations ? Ce disque était censé être celui du retour de l’espoir…
Jonathan Meiburg : « Touché ! Mais je pense que tout de même que c’est un disque porteur d’espoir. Je commence à me sentir désespéré quand je pense trop au monde des hommes (ce monde qui, pour Internet, est tout ce qui existe). Quand je me souviens que nous ne sommes qu’une partie de l’histoire beaucoup plus vaste de la vie sur terre, je me sens moins effrayé et moins convaincu que j’ai besoin de connaître la réponse à chaque question. J’aime voir les animaux sur la couverture reprendre le contrôle d’un espace humain et y effectuer une sorte de rituel. Ce que représente exactement cette image dépend de vous. Pour moi, elle ressemble à la façon dont le disque sonne… »
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin... La page Bandcamp de Shearwater