Godefroy Maruejouls : « Y aura-t-il encore des luthiers à la fin de ce siècle ? »

Lorsqu’on parle de « circuit court », on pense tout de suite aux maraîchers qui commercialisent leurs légumes sur un marché ou au travers d’une Amap. Mais jamais aux luthiers et c’est un tort. Ceux que réunit l’APLG, l’Association Professionnelle des Luthiers artisans en Guitare et autres cordes pincées, sont très proches de leurs clients. Très souvent, ils les reçoivent dans leurs ateliers, les écoutent parler de leurs envies puis confectionnent patiemment des instruments sur mesure. Certains se servent également de cette notion de circuit court dans leurs relations à leurs fournisseurs et s’orientent vers du bois qui a poussé en France. C’est le cas de Godefroy Maruejouls, qui s’est formé à Londres puis a développé dans son atelier du Tarn-et-Garonne une gamme de guitares acoustiques en bois local. Il explique pourquoi…

A quel moment avez-vous ressenti le besoin (ou le désir) de travailler principalement avec des bois locaux ?

Godefroy Maruejouls : « Ça ne fait pas très longtemps. Je fabrique des guitares depuis 20 ans mais ça ne fait que 5 ou 6 ans que j’ai commencé à me pencher sur cette manière de faire mon métier. C’est venu d’une prise de conscience, née au moment où je me suis lancé dans la construction de ma maison. J’ai fait une maison écologique. Je me suis alors posé la question du choix des matériaux, de leur transport, de leur impact en termes d’émission de carbone… Ayant adopté cette démarche pour une maison, je me suis très vite dit qu’il fallait faire la même chose pour les guitares. »

Aujourd’hui, où trouvez-vous votre bois ? Une filière d’approvisionnement est-elle en place ?

Godefroy Maruejouls : « Non, pas que je sache… Il n’y a pas vraiment de filière spécialisée dans le bois non-exotique pour les instruments. L’achat de bois exotique fait partie de la culture des fabricants de guitares. La demande n’est donc pas encore suffisante pour qu’une filière se mette en place. »

Mais alors où dénichez-vous votre bois ?

Godefroy Maruejouls : « J’ai plusieurs réseaux. Un ami menuisier qui va chercher du bois à droite à gauche me signale les billes appropriées pour mon activité. Après, c’est souvent le bouche à oreille qui fonctionne : on me dit qu’un arbre est tombé à tel endroit, qu’il y a un platane par ici, un noyer là-bas… J’amène le tronc chez un scieur et je lui demande de scier selon mes critères. »

La musicalité du modèle « Levesa » de Godefroy Maruejouls…

Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients du travail avec du bois local ?

Godefroy Maruejouls : « Je ne sais pas si on peut vraiment parler en termes d’avantages et d’inconvénients… Mais, pour rester dans ce raisonnement, le premier inconvénient est que cela ne répond pas aux attentes du public. Pour la plupart des amateurs de guitare, il est difficile de concevoir que l’on peut faire un instrument de qualité sans bois exotique. Il a été prouvé scientifiquement que c’est une question de psychologie. Si on pense qu’une guitare va sonner mieux parce qu’elle est faite de bois exotique, notre cerveau s’auto-convainc que le son produit est effectivement meilleur. Ce n’est pas nécessairement le cas, des tests à l’aveugle réalisés par le Leonardo Guitar Research Project le démontrent. Il y a un autre désavantage : le visuel. Le bois local ne ressemble pas au bois exotique. Ça rejoint le premier point : les clients ont l’habitude d’une certaine apparence, celle du bois exotique, et veulent la retrouver partout. Ces deux désavantages sont assez importants, je trouve. L’avantage, par contre, est d’aller chercher du bois près de chez soi et d’avoir une certaine maîtrise de la filière. On n’a plus à aller voir un fournisseur européen qui importe son bois d’on ne sait pas où, dans des conditions qu’on ignore. Je parle là des conditions environnementales mais aussi humaines et sociales, ce qui est pour moi très important aussi. Ça permet aussi d’avoir des bois qui sont un peu moins chers que les bois exotiques importés, à un moment où le prix du transport maritime augmente, et ça réduit les émissions carbone. »

Nous parlons du bois local mais, dans vos instruments, y a-t-il autre chose que vous avez changé pour des questions écologiques ?

Godefroy Maruejouls : « A part le bois, pour le moment, non… J’aimerais utiliser moins d’os mais cela ne plairait pas aux clients. Le degré d’acceptabilité des clients est ce qu’il y a de plus contraignant. Une seule fois, un végan m’a demandé une guitare sans os ni colle animale. La colle animale, j’en utilise très peu, contrairement à ceux qui fabriquent des guitares classiques ou flamenco ; j’utilise plutôt des colles synthétiques. L’alternative à l’os, c’est le sillet en matière composite, issue de plastique carboné. La question du vernis se pose aussi. La finition de la guitare est ma prochaine étape, même s’il y a toujours un problème d’acceptabilité. Les clients aiment les guitares brillantes. Il y aurait la solution du vernis au tampon, qui n’est pas la meilleure pour une guitare folk. J’ai encore du travail à faire de ce côté ; cela fait partie des problèmes qu’on essaie de résoudre petit à petit… Enfin, l’aspect auquel je m’attaque le mois prochain, c’est mon atelier. Je veux construire un atelier bioclimatique, en ossature de bois et de paille, qui demande moins d’énergie pour être chauffé ou refroidi. »

Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ?

Godefroy Maruejouls : « Je ne sais pas trop, pour être honnête… J’entends l’argument des confrères qui continuent à utiliser du bois exotique. Ils disent que ce ne sont pas les quelques planches qu’ils vont utiliser dans leur carrière qui vont changer le destin de l’Amazonie. C’est probablement vrai. Je ne juge personne. Je travaille sur du bois local dans mon coin mais je ne cherche pas à donner de leçons. Mais ce qu’il risque de se passer, c’est que la réalité physique va s’imposer, comme pour la totalité de notre mode de vie. Là, on entre dans un grand débat. Les problèmes d’approvisionnement, les pénuries que nous connaissons pour diverses raisons sont le signe qu’on arrive aux limites physiques de ce qu’on peut faire. Si on veut continuer à faire de la lutherie de guitare, on va être obligé de revenir à des circuits plus logiques. Pour l’anecdote, j’entendais quelqu’un dire qu’il avait acheté une cargaison de palissandre de Madagascar au Canada : le bois avait été coupé à Madagascar, était parti au Canada puis ce stock avait été racheté et importé en France. On marche sur la tête ! On peut se le permettre parce qu’on a une énergie peu chère mais on est en train de se rendre compte que ce ne sera pas éternel. Les sources d’énergie fossile sont limitées et on ne doit plus puiser dans ce stock parce qu’on commence à voir les conséquences de ce mode de vie avec les chaleurs extrêmes qui nous affectent. »

A la fin de ce siècle, les guitares ne ressembleront donc plus à celles de la fin du vingtième siècle…

Godefroy Maruejouls : « Non mais beaucoup de choses ne seront plus comme au vingtième siècle. Y aura-t-il encore des luthiers à la fin de ce siècle ? Il y aura peut-être des choses plus importantes à faire que de fabriquer des guitares… En plus, le marché de la guitare est extrêmement saturé. C’est une réalité économique indépendante de toute autre considération. On vend des guitares parce qu’on profite d’une envie d’accumulation. Des gens se permettent d’avoir, à tort ou à raison, plusieurs dizaines de guitares chez eux, plusieurs dizaines de pédales d’effets, d’amplis… Mais le besoin réel de guitares est couvert. Je n’ai pas les chiffres exacts en tête mais je le vois. La plupart de mes clients a au moins 3 ou 4 guitares. Moi aussi, j’en ai plusieurs mais je ne joue que d’une à la fois et c’est souvent la même. Mais c’est un autre débat… »

Photo de têtière : François Mauger
Autres photos : Richard Storchi, droits réservés
Pour aller plus loin...
Le site web de Godefroy Maruejouls
Le site web de l'APLG

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