Maë Defays : « A quoi bon être artiste si tout s’effondre ? »

Ne vous fiez pas aux images. Maë Defays nage dans le bleu sur la pochette de son album mais c’est une nouvelle sorte de blues qu’elle chante. Formée au Centre des Musiques Didier Lockwood d’Evry, la jeune femme vient de publier A deeper ocean, recueil de titres soul jazz brillants, pétillants et attachants. Au-dessous des harmonies vocales soignées se cache cependant une interrogation sur notre rapport à la nature. L’écoute d’A deeper ocean mérite d’être approfondie…

Votre album semble marqué par une réelle sensibilité aux questions écologiques…

Maë Defays : « Je me suis inspirée de beaucoup d’éléments naturels pour écrire les morceaux. Quand j’ai voulu relier les uns aux autres les morceaux que j’avais conservés pour l’album (j’en avais composé une trentaine et retenu une dizaine), j’ai cherché une cohérence et je me suis rendu compte que la thématique de l’océan était très présente. Quand j’ai poursuivi l’écriture des morceaux qui n’étaient pas terminés, j’y ai introduit de nouvelles idées. Je parle de l’éco-anxieté, de la peur pour l’avenir, des enjeux du réchauffement climatique mais je parle également des marées, des mangroves, sans que mon message soit nécessairement militant. Globalement, l’album est grandement inspiré par la nature. »

Etes-vous particulièrement éco-anxieuse ?

Maë Defays : « Pas plus que d’autres… J’ai 28 ans. J’ai commencé à réfléchir à cet album en 2020, pendant le confinement. Quand je parlais avec mes amis, je sentais qu’on avait tous peur de l’avenir. On ne savait pas ce qui nous attendait, combien de temps ça allait durer… On s’interrogeait aussi sur la montée des eaux ou sur le métier de musicien. A quoi bon être artiste si tout s’effondre autour de nous ? Les confinements ont cristallisé cette question. On s’est tous senti plus concernés par l’impact de l’homme sur la nature. Depuis que le confinement a cessé, tout a rouvert, tout a recommencé, la pollution a repris de plus belle. Cette question est peut-être déjà oubliée pour beaucoup de gens. Mais, moi, ma conscience écologique est sortie renforcée du confinement. Jusque là, j’avais cette conscience mais je ne me sentais pas légitime pour en parler, parce que mon métier est d’être artiste, pas d’agir pour l’environnement. Je trouvais aussi très dur de parler d’écologie, parce que personne n’est parfait, on pollue tous d’une façon ou d’une autre, surtout dans ce métier où on est obligé de se déplacer pour travailler. Je savais que j’allais avoir des détracteurs qui allaient rappeler que je prends l’avion. Pourtant, on n’a pas vraiment le choix quand on fait ce métier, parce que les disques ne se vendant plus, on est obligé de donner des concerts. J’avais prévu cet antagonisme entre vouloir parler de quelque chose et ne pas être un modèle mais, en fait, je n’ai pas choisi de faire des chansons écologiques et d’être une ambassadrice de cette cause mais, plutôt, de parler de mon anxiété et de la peur que ces questions peuvent générer. On est beaucoup à la ressentir. Eviter le sujet et n’écrire que des chansons d’amour, des chansons pour oublier le quotidien et aller danser, ne m’aurait pas convenu. J’aurais eu l’impression d’être trop loin de la vérité. Je n’aurais pas pu assumer de faire des concerts sans aborder les vrais sujets qui me préoccupent. On ne peut pas parler que de choses légères. »

Alors, de quoi parlent exactement les chansons ?

Maë Defays : « Dans l’album, j’ai choisi de parler de tout. De cette anxiété, de cette peur, sans donner de leçons, parce qu’on est tous perfectibles. Je me mets dans le lot. J’essaie de faire des choses à mon niveau mais je pollue aussi, à ma façon. Je voulais parler du fait que je me sens concernée, tout en véhiculant des messages d’espoir, en écrivant aussi des chansons d’amour, mais toujours reliées à quelque chose de plus grand. Sur High tide, je parle d’une histoire d’amour naissante mais je la compare aux marées et à la naissance de la vie sur terre. Sur Mangrove, je parle de résilience. Je m’identifie au palétuvier, un arbre qui arrive à vivre dans l’eau salée. J’en tire une métaphore sur la résistance aux événements traumatisants et sur l’adaptation à un milieu hostile. J’essaie de m’inspirer de la nature pour raconter des histoires qui me touchent, des histoires humaines marquées par mon anxiété, ma peur, ma colère aussi, mais également mon espoir en l’humanité. Même si je ne suis pas une activiste, parler de tout ça dans son art est déjà une forme d’action.

Au-delà de la thématique, ce disque rappelle votre parcours : il est chanté en anglais et associé aux Antilles…

Maë Defays : « Les artistes qui ont forgé mon identité musicale sont anglo-saxons. J’ai commencé la musique par le jazz et la soul. Depuis que je suis petite, je suis fascinée par l’anglais. J’ai appris cette langue à l’école mais aussi seule, en dehors de l’école. Quand je suis devenue chanteuse, écrire dans cette langue était une évidence. Mais j’ai aussi quelques morceaux en français. J’en avais deux sur mon premier EP. J’ai choisi d’en mettre un seul sur cet album, par souci de cohérence. Dans l’industrie, on m’a conseillé de ne pas trop mélanger les influences et les langues. J’aimerais bien, à terme, avoir assez de compositions écrites en français pour faire des albums entièrement en français. Quant à la Guadeloupe, je suis en effet d’origine guadeloupéenne par ma mère et parisienne par mon père. J’ai vécu en Guadeloupe pendant cinq ans, quand j’étais adolescente. C’est là-bas que j’ai vraiment développé ma fibre artistique. J’y ai pris beaucoup de cours de musique et de danse. Ça m’a forgé. C’est là-bas aussi que je me suis le plus connectée à la nature. L’océan, les marées, la mangrove… Tout ce dont je parle dans l’album, c’était ma vie quotidienne là-bas. Pour moi, en tant qu’artiste, il est important de créer un univers complet. Il fallait que les visuels correspondent à la musique que j’avais écrite. Je n’imaginais pas tourner des illustrations de ces morceaux en métropole, parce que ses paysages ne sont pas ceux que je décris dans mes chansons. J’ai donc organisé ce gros tournage avec une très petite équipe en Guadeloupe. On est resté un mois pour faire les 5 clips d’un coup. Ça me permet de montrer la variété des paysages de Guadeloupe et ça rajoute une particularité à mon identité, parce que je ne voulais pas être identifiée uniquement comme une artiste métropolitaine. Il me tenait à cœur de montrer l’autre moitié de mes origines… »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Maë Defays

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