Olivia Gay : « La forêt est à l’origine de grandes œuvres d’art »

Quiconque part se promener en forêt s’attend à y trouver du bois, mais pas nécessairement le bois luisant d’un violoncelle de 1733, joué par Olivia Gay… La jeune musicienne originaire de Mulhouse et formée entre Strasbourg, Paris et Fribourg se rend en effet régulièrement sous les arbres pour y répéter. Son nouvel album, Whisper me a tree, est d’ailleurs dédié à ces fidèles compagnons. Olivia Gay y réunit des partitions aujourd’hui considérées comme classiques (le Papillon de Gabriel Fauré, Rêverie au bord de la mer de Jacques Offenbach) et des œuvres plus récentes, toutes inspirées par les éléments naturels. L’interprétation est souvent éblouissante, notamment sur The Wind at Maclaren Summit de John Luther Adams, où quelques coups d’archet suffisent à saisir le vent. La violoncelliste s’explique…

Qu’est-ce qui vous a inspiré ce disque ?

Olivia Gay : « Tout simplement la forêt… Je suis en train de la regarder en vous parlant : de ma fenêtre, je vois l’immensité de la forêt de Fontainebleau. Chez moi, l’affect vient beaucoup de l’enfance et j’ai grandi dans une région où la nature est très présente. Au pied des Vosges, mes journées se partageaient entre la nature, mon cheval et mon violoncelle. Il y avait toujours quelque chose à faire dehors : cueillir des champignons en automne, skier en hiver, se baigner dans les lacs et les cascades en été… La nature est devenue pour moi un besoin. Pendant mes études dans de grandes villes, je me suis toujours débrouillée pour être un peu à l’écart, dans un petit coin de nature. Il est pour moi essentiel d’être en contact avec la nature, aussi bien pour mon bien-être personnel que pour mon inspiration artistique. La forêt est mon anxiolytique. Quand – comme tout le monde – j’ai des angoisses, elle me permet de me relaxer et de positiver. Il m’a donc semblé normal de lui dédier cet album, sachant que mes deux précédents disques étaient inspirés, pour le premier, des grands paysages et, pour le second, du rapport entre la terre et les chants populaires. Pour ce nouvel album, j’ai voulu très concrètement « interpréter la nature », si je puis dire, en sélectionnant des œuvres directement inspirées par elle. Mes recherches dans les répertoires passé et présent ont duré un moment. J’ai notamment cherché des compositeurs vivants inspirés par la nature, parce que, pour moi, il a toujours été important de jouer de la musique de mon temps. La nature en général et la forêt en particulier sont à l’origine de grandes œuvres d’art, et même de certaines des plus grandes œuvres d’art de tous les temps. C’est encore le cas aujourd’hui. Si l’on souhaite que cela continue, il faut préserver la nature. »

Olivia Gay (photo : Patrick Fouque)

Entre Fauré et Dvořák, les compositeurs d’aujourd’hui sont particulièrement mis en valeur sur ce disque…

Olivia Gay : « Effectivement… Il y en a deux que je connais bien. Camille Pépin est une jeune compositrice qui se fait remarquer en ce moment. Elle a eu une Victoire de la musique classique il y a très peu de temps. Son amour de la nature se lit dans le titre de ses œuvres, où il est toujours questions d’arbres ou d’éléments naturels. Elle m’a confié le soin de réaliser le premier enregistrement de Gris-brume. Je connais aussi Pēteris Vasks, un compositeur letton. J’ai eu la chance d’enregistrer son premier concerto sur mon tout premier disque. Je suis allée travailler avec lui et c’est un homme qui m’a bouleversée, par sa personnalité. En discutant avec lui, j’ai appris qu’il est très concerné par la protection de l’environnement. Ross Edwards et John Luther Adams sont des compositeurs que j’ai découverts en préparant ce disque. Le parcours de John Luther Adams est passionnant : il a vécu un peu comme un ermite au milieu de la nature, en Alaska ou dans le désert. Il explique que son environnement naturel est au centre de son inspiration. Ross Edwards, lui, est australien. J’ai lu qu’il est un fervent militant de l’écologie. Il a notamment composé des pièces à partir des battements d’ailes des insectes. Les recherches que j’ai effectuées étaient vraiment enrichissantes. Il y a certainement beaucoup d’autres compositeurs qui auraient pu entrer dans ma sélection… »

Ce disque s’accompagne de concerts dans les forêts. Comment se passent-ils ?

Olivia Gay : « Un ami s’est fait concevoir une scène mobile, qu’on tracte avec un véhicule. On l’amène où on veut, elle se déplie et un grand piano de concert, un Bechstein, trône sur elle. On peut l’habiller pour qu’elle ressemble à ce qu’on trouve dans un festival de musique classique ordinaire. L’idée est vraiment d’emmener le concert de musique classique en milieu forestier, tout en conservant à l’événement une grande qualité, aussi bien visuelle qu’instrumentale (il n’était pas, pour moi, question d’utiliser un piano numérique). J’utilise ce dispositif, baptisé « piano saltimbanque » par son créateur, pour jouer en forêt avec ma partenaire pianiste, Célia Oneto-Bensaid. »

Vous avez monté un partenariat avec l’ONF, l’Office National des Forêts. Que vous apporte-t-il ? Et que lui apportez-vous en retour ?

Olivia Gay : « Ce partenariat est né après beaucoup de rencontres, de discussions, en juillet dernier. Il est tout récent. Les représentants de l’Office m’ouvrent les portes de manifestations forestières, notamment dans ce qu’ils appellent les « forêts d’exception », et, plus largement, leur réseau forestier. Je m’engage à leurs côtés pour sensibiliser le public que j’arrive à emmener en forêt. Je fais le lien entre les œuvres que je joue et la préservation de la forêt. Je lève des fonds pour leur fonds de dotation, « Agir pour la forêt ». Je reverse une partie des royalties reçues pour le disque Whisper me a tree. Lorsque je vends des disques en forêt, 60 % des recettes vont également au fonds de dotation. Je fais aussi circuler un chapeau, j’appelle aux dons. J’encourage aussi les organismes qui souhaitent programmer ce concert à contribuer eux aussi au fonds. »

Vous qui vous intéressez aux forêts françaises, comment voyez-vous leur évolution ?

Olivia Gay : « J’ai bien conscience que mon projet n’est qu’une humble pierre apportée à un vaste édifice. Les forêts ont déjà subi beaucoup de dégâts. Cette initiative est née des incendies qu’on voit grandir d’année en année. Trop d’hectares partent en fumée, en France et ailleurs. En discutant avec de nombreux forestiers depuis quelques mois, j’apprends beaucoup de choses et je vois que la vision des forêts change. Ils souhaitent passer de forêts constituées d’une seule essence à bien plus de diversité. J’ai l’impression que les Français ont désormais conscience qu’il y a des choses à faire, autant pour freiner le changement climatique que pour entretenir les forêts. Ce qui me rend optimiste, c’est que je vois de plus en plus d’émissions télévisées consacrées à la forêt, à la manière dont elle est gérée et aux changements nécessaires pour s’adapter et l’adapter au changement climatique. Il y a une prise de conscience. Va-t-elle suffire à sauvegarder la forêt ? Je serais bien incapable de répondre à cette question… »

Photo de têtière : François Mauger

Pour aller plus loin...
Le site web d'Olivia Gay

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