François-Bernard Mâche conçoit la bande-son d’une exposition de Salgado

A la Philharmonie de Paris, c’est à Jean-Michel Jarre qu’avait été commandée la bande-son de l’exposition des photos amazoniennes de Sebastião Salgado. Sur le parvis de La Défense, dans un pavillon de bambou, c’est à François-Bernard Mâche que revient cet honneur. Né en 1935, ce musicien est l’un des attachants – à défaut d’être le plus joué – des compositeurs français apparus après Messiaen. Il est notamment à l’origine du concept de « zoomusicologie », qu’il a développée dans son essai Musique, mythe, nature. Pour « Aqua Mater », l’exposition photographique sur les thèmes de l’eau et de l’écologie qui ouvrira le premier avril, il renoue avec une technique expérimentée dès les années 60. Quelques questions à un pionnier resté très actif…

Vous répondez aux photographies de Sebastião Salgado par des « phonographies ». Le mot n’est pas entré dans le langage commun. Quelle en est votre définition ?

François-Bernard Mâche : « C’est un mot que j’ai inventé au début des années 60, en supposant qu’il allait se développer un art du son parallèle à celui que la photographie avait développé un siècle ou un demi-siècle avant. Pour la photographie artistique comme pour la phonographie, l’idée est de fixer un moment pour produire plus qu’un document, quelque chose qui a une charge symbolique ou poétique. Comme c’est ce que Salgado a fait de façon remarquable, j’ai voulu faire un peu la même chose avec le son. J’ai choisi, assemblé et mélangé des sons tirés d’enregistrements parfaitement reconnaissables pour la plupart, de façon à raconter une sorte d’histoire, l’histoire de l’eau. »

Comment savez-vous qu’une phonographie est réussie ?

François-Bernard Mâche : « Si je peux écouter un son enregistré en ayant dans la tête une image autre que le son d’origine, c’est gagné. Il faut que le son aille au-delà de la simple identification documentaire. C’est un signal, ce n’est plus un signe. »

D’où viennent les phonographies que vous allez présenter ?

François-Bernard Mâche : « J’ai mélangé par exemple, pour donner l’image d’un ruisseau, des enregistrements que j’avais faits en Bretagne avec d’autres que j’ai faits en Asie. En Asie, j’ai enregistré dans différents parcs nationaux, comme à Bornéo. L’idée n’était pas de reconstituer un « soundscape » comme disent les Américains mais de créer une espèce d’image idéale du ruisseau. Pour cela, je me suis permis des manipulations du son, en renforçant certains registres, un peu comme au tirage un photographe peut retravailler les contrastes. Mon but n’était pas de rendre la nature identifiable mais d’en faire le support d’une espèce de rêverie active. Un peu de la même façon, Salgado fait des paysages parfaitement reconnaissables mais, par le choix du cadrage, des lumières, des contrastes, il leur donne parfois une apparence presque fantastique. On a l’impression qu’on est à côté du photographe mais, en même temps, la photographie révèle un mystère, comme peut le faire une peinture. »

De la même façon, vous tirez vos phonographies vers la musique…

François-Bernard Mâche : « Voilà. C’est exactement ça. Il ne fallait pas que cela devienne trop de la musique. C’est tout de même une exposition de photographies, il ne faudrait pas que les gens se croient à un concert. Au contraire, j’ai voulu que ces sons passent par l’inconscient du spectateur, que, de temps en temps, ils attirent son attention mais pas constamment. C’est plutôt une influence secrète, une incitation à méditer, que j’ai recherchée. »

Vous disiez que vous aviez forgé le mot « phonographie » dans les années 60 en pensant qu’il aurait un bel avenir. Quelques artistes, comme Stéphane Marin, l’emploient encore mais ils sont rares. Etes-vous déçu ?

François-Bernard Mâche : « Non, non, ce n’était pas un lancement publicitaire… A l’époque, je faisais partie de la première équipe qui a créé le Groupe de recherches musicales autour de Pierre Schaeffer. Il y avait là des gens qui se sont montrés très intéressés par cette idée. Certains l’ont illustrée. Je pense à Luc Ferrari, par exemple, qui a fait des pièces qui s’appellent Presque rien : Presque rien – le lever du jour au bord de la mer, Presque rien avec filles… Ses enregistrements naturels racontaient quelque chose, suggéraient une histoire. Il n’y en a pas eu beaucoup d’autres. Par la suite, enregistrer est devenu plus facile. Cela a attiré beaucoup d’amateurs, qui se baladent dans la nature avec un micro. Cela se heurte, à mon avis, à une difficulté : on reconnaît facilement, sur une carte postale, l’endroit où a été prise la photo mais on ne peut pas reconnaître à l’écoute où a été prise une phonographie. Le son n’a pas la permanence de l’image. Il y a un moment où les choses nous paraissent intéressantes mais on ne retrouve jamais le même son au même endroit. La phonographie est un moyen de faciliter la perception des beautés naturelles du son mais elle n’est jamais aussi fixe que la documentation photographique et cela libère l’imaginaire de l’auditeur. »

Aurons-nous le plaisir d’entendre d’autres de vos travaux cette année ?

François-Bernard Mâche : « Probablement ! L’une de mes pièces a récemment été créée par l’ensemble Variances à Caen puis il l’a rejouée il y a quelques jours à Los Angeles. Peut-être l’ensemble va-t-il la jouer ailleurs. Je l’ai appelée Vigiles, parce qu’elle mêle un petit groupe d’instrumentistes et des oiseaux qui ont pour particularité de chanter au milieu de la nuit, les Rousserolles des buissons. Ça m’a beaucoup intéressé, cette idée d’un oiseau qui chante au milieu de la nuit, et qui est peut-être plus musicien encore que le rossignol. J’ai choisi et transcrit ses chants, les ai accompagnés avec des instruments puis les ai confiés à Thierry Pécou. Je l’avais connu comme étudiant pendant quelques jours lorsque je faisais des master classes au conservatoire supérieur de Lyon. On est tout à fait sur la même longueur d’ondes. Je collabore aussi avec l’équipe qui prépare l’exposition sur les « animaux musiciens » à la Philharmonie de Paris. Je lui ai confié une documentation importante, qui reprend certains des documents sur lesquels j’ai fondé la « zoomusicologie ». Peut-être l’une de mes œuvres sera-t-elle jouée. Ce n’est pas encore décidé… »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de l'exposition Aqua Mater

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