Emma Loriaut et Julien Clauss égrainent les données météorologiques

Revoilà « Paysages composés » ! Le festival grenoblois qui mêle écologie sonore et musiques de recherche, expérimentations et moments d’écoute de l’environnement, revient du 11 septembre au 5 octobre 2025, avec une sarabande d’artistes passionnants : Adèle de Baudouin, Stéphane Marin, Diane Blondeau, Lionel Marchetti, Julie Rousse, l’ensemble Apnées et bien sûr l’organisateur de tout cela, Alessandro De Cecco
Emma Loriaut et Julien Clauss ont été invités à présenter le 18 septembre à l’ENSAG, l’École d’architecture, leur projet « Météo mondiale », une envoûtante litanie faite de noms de villes et de données climatiques. Comme leur performance correspond à l’inauguration du studio de radio du Cresson, le Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain, Emma et Julien dévoilent les raisons de leur passion pour ce média…

Pourquoi avez-vous choisi d’annoncer lors de cette performance la météo de Baltimore, Jérusalem ou Katmandou ?

Julien Clauss : « Premièrement, par goût des listes, de l’esthétique des listes, de leur poésie. Nous aimons ce qu’elles produisent, ce qu’elles permettent… Nous aimons cette forme plastique pour son cousinage avec la musique minimaliste. C’est un premier angle. Le deuxième, c’est un goût éperdu pour le climat, les saisons et la météorologie. Nous avons envie de faire de la veille, d’avoir une espèce de performance-outil qui se contente de décrire le monde tel qu’il est… »

Emma Loriaut : « … Au moment où il est décrit. »

Pourquoi vouloir décrire ce monde ? Est-ce plus important aujourd’hui qu’il y a vingt ans ?

Emma Loriaut : « Oui et non. Il faut rappeler que c’est une pièce qu’on a créée il y a douze ans, au moment où on se réinstallait en milieu rural, après avoir passé une quinzaine d’années dans les villes. Moi, je suis issue du milieu rural, Julien est urbain. Se réinstaller en milieu rural nous a reconnectés à des sensations, notamment autour du climat, qui sont moins prégnantes quand on habite en ville. Il y a un goût de l’observation qui est exacerbé. »

Julien Clauss : « J’ai à ce sujet un point de vue un peu différent : oui, il est beaucoup plus important aujourd’hui qu’il y a vingt ans de construire ou de réhabiliter une sorte de réel commun. Ça devient primordial dans le monde de fake news dans lequel on vit. Il y a une mise en commun du réel qui se fait pendant cette performance. Au moment de sa création, je n’aurais pas du tout répondu ça. Mais, là, dix ans après, même sur un sujet comme la météo, on a besoin de se mettre d’accord sur ce qu’est le réel. C’est assez dramatique mais c’est comme ça. »

Que souhaitez-vous que le spectateur ressente ?

Emma Loriaut : « On ne souhaite rien. On aime laisser les auditeurs et les spectateurs libres. Les auditeurs nous parlent souvent de mélancolie mais, nous, nous ne sommes pas axés sur cette émotion-là. On a plutôt envie de créer une sorte de tissage, le tissage de quelque chose qui s’apparenterait à du paysage. Pour nous, cette expérience est assez contemplative et physique. »

Avez-vous prévu quelque chose de spécifique pour le festival Paysage composé ?

Julien Clauss : « Oui, la météo du jour ! »

Emma Loriaut : « Le projet en lui-même change à chaque occurrence. On récupère des données météorologiques qui correspondent au jour où on joue. De plus, musicalement, on improvise. A Grenoble, enfin, on ajoute un dispositif de diffusion sonore radiophonique qui nous permet de disséminer dans l’espace tout un tas de petits postes radio. On démultiplie les sources d’écoute. Les spectateurs vont pouvoir se promener dans l’école d’architecture en même temps qu’ils nous écoutent. Grenoble est une ville très ouverte sur le paysage. On voit les montagnes quasiment partout. Le rapport au paysage et à la météo est là, même si on est en centre-ville. »

Vous co-organisez également « Modulation », un projet de micro-radio participative dans le Vercors…

Emma Loriaut : « Ce n’est pas nécessairement dans le Vercors. C’est un projet qui existe depuis 15 ans. Julien l’a inventé et je l’ai rejoint quasiment dès les débuts. Il a eu lieu dans différents endroits montagneux : on l’a produit en Corse, dans les Pyrénées, dans les Vosges… C’est un bivouac radiophonique qui s’inscrit dans le paysage. Certains le voient comme un festival mais, en réalité, on ne programme personne. On fait un appel ouvert à participation, qui permet de faire se croiser musiciens professionnels et musiciens amateurs, musiciens d’ici et musiciens des quatre coins du monde. Début juillet, lors de la dernière édition, des personnes sont venues du Danemark, de Bruxelles, de Marseille, d’Espagne… C’est une sorte de point de rendez-vous annuel, où on se présente nos derniers travaux en cours. Les participations sonores ont toujours une inscription particulière dans le paysage. Le paysage est un vrai protagoniste. Il est partie prenante de tout ce qui va être entendu. »

Julien Clauss : « Ce n’est pas quelque chose qu’on demande, mais quelque chose qui se fait de lui-même. Les gens arrivent et s’inscrivent sur place, le jour même. Ils choisissent l’heure à laquelle ils vont jouer. Ils se demandent donc si leur proposition est une proposition de jour ou de milieu de nuit, voire de petit matin. Ils se posent la question de la lumière et de la température qui leur conviennent. »

Emma Loriaut : « On installe un studio de radio en plein air. Tout est à vue. Chaque personne qui écoute ou qui vient jouer peut voir la transmission sonore en train de se faire. Les auditeurs peuvent aussi prendre leur petite radio et partir en balade en montagne sans arrêter d’écouter ce qui est en train de se faire. Le rapport au paysage est complètement transformé. »

Julien Clauss : « Il n’y a pas de diffusion en dehors des radios que les gens emmènent. La seule possibilité d’accéder à ce qui se fait est d’assister aux intervention ou d’avoir leur propre radio. Avec leur radio, les auditeurs sont maîtres du volume et peuvent choisir de ne pas écouter. »

Pourquoi cet attachement à la radio ?

Julien Clauss : « La liste des raisons est longue. C’est le plus vieux des nouveaux médias. C’est un média extrêmement plastique qui a eu des relations intimes avec les musiques expérimentales et la musique contemporaine. John Cage a fait un certain nombre de performances en l’utilisant. On peut travailler la matérialité des ondes comme on travaillerait n’importe quel matériau. La radio a, en plus, une dimension sociale. Je me réfère à la micro-radio qu’un artiste-ingénieur nommé Tetsuo Kogawa a inventée dans le Japon des années 1980. Il a monté une station, Home Run, qui était une radio ouverte 24 heures sur 24 dans un appartement. Elle émettait à l’échelle d’un pâté de maison et les voisins se regroupaient pour parler et s’écouter. C’était une espèce de déplacement – assez politique ! – de la structure de la radio, puisque le studio n’est plus un espace inaccessible dans une tour d’ivoire mais un espace de vie, de production et d’écoute. C’est vraiment ce schéma-là qu’on reprend dans Modulation. Au moment où on a lancé Modulation, on ne connaissait pas l’existence de Tetsuo Kogawa mais, pour nous aussi, le studio est un espace de vie. »

Emma Loriaut : « Il peut être partagé de la manière la plus horizontale possible. Politiquement, ça induit quelque chose de profondément différent… »

Photo de têtière : François Mauger
Photo du duo : Christophe Gagneux
Pour aller plus loin...
Le site web d'Emma Loriaut
Le site web du festival Paysages composés
Le site web de Modulation

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