François Joncour : « Une mission polaire, c’est beaucoup d’humain »

François Joncour est un artiste fidèle. Il s’est engagé il y a 7 ans auprès du Bebest, un laboratoire brestois de recherche en écologie des fonds marins. Il a rapidement publié un premier disque, Sonar tapes, né de discussions avec les chercheurs sur leurs pratiques professionnelles. Il prolonge aujourd’hui ce compagnonnage avec un nouvel album et une série de podcasts inspirés d’un voyage scientifique au Spitzberg. L’occasion d’une troisième discussion…

Comment avez-vous réagi quand vous avez appris que vous alliez partir en mission avec ces scientifiques ?

François Joncour : « Ça, c’était une grande émotion ! C’était une vraie joie et, en même temps, quelque chose d’un peu intimidant. Je me souviens que j’étais perturbé parce qu’aller là-bas avec ces chercheurs, j’en avais rêvé, je l’avais fantasmé, mais je n’y pensais plus trop. La possibilité est revenue et l’apprendre a provoqué une émotion très forte. »

Cela faisait pourtant des années que vous travailliez avec l’équipe de Laurent Chauvaud…

François Joncour : « Oui, cela faisait 3 ans. J’avais eu le temps de composer un disque, de participer à une exposition. C’était déjà un projet très intense. On nous avait parlé d’une mission dès le début, en 2018, mais elle n’était plus à l’ordre du jour. Il y avait des difficultés administratives. En novembre 2021, on m’a annoncé qu’en septembre 2022 je partirais avec les scientifiques. J’ai ressenti un mélange d’étonnement et de grande joie. »

Ce voyage a donné naissance à deux projets différents : une série de podcasts et un album. Qu’est-ce qui les relie ?

François Joncour : « Dans mon esprit, les deux n’ont jamais été séparés. L’un alimentait l’autre en permanence. Ils ont fini par fusionner dans le podcast, qui contient à la fois une partie documentaire, plus sensitive qu’informative, et des chansons qui correspondent à la bande-son que j’ai composée en partie sur place, en m’inspirant de toutes les informations recueillies pendant la mission. »

Comment s’est fabriqué l’album ? Qui est venu vous épauler ?

François Joncour : « Deux chanteuses, Pauline Mer et Liza Mausole, sont venues chanter sur plusieurs morceaux. Pascal Le Floc’h a coécrit avec moi le texte de Ny Alesund, du nom de la ville la plus au nord du monde, comme aiment le dire les chercheurs. C’est aussi une base scientifique internationale. C’est là que s’est déroulée cette mission polaire. »

Les chansons foisonnent de thématiques inquiétantes. Il y est question de larmes, de folie, d’étouffement, de rage, de grisaille… Vous allez bien ?

François Joncour : « Oui (rires). C’est un processus de projection en fait. Les chansons sont moins liées à ce que j’ai pu ressentir (encore qu’on ne peut pas être certain que ça n’ait pas contaminé les propos) qu’à ce que peuvent ressentir les chercheurs quand ils observent les données auxquelles ils sont confrontés en permanence. Je parle notamment des données récupérées par ces fameux hydrophones immergés dans les zones rocheuses. Je me base sur ce que j’ai pu percevoir de leur inquiétude, de leur agacement parfois, mais aussi de moments de joie pure, quand ils retrouvent justement ces hydrophones intacts, chargés de données qui vont leur servir à travailler toute une année. Voilà, je m’appuie sur ce mélange d’émotions, sans garantir qu’il n’y en a pas quelques-unes qui viennent de moi. Pour le reste, je vais bien, merci. »

Depuis le début du projet, vous vous mettez dans la peau de ces chercheurs…

François Joncour : « Oui, j’ai adopté ce processus. J’ai eu presque une année entière pour réfléchir à ce que j’allais faire lors de cette mission. J’ai eu envie de me mettre dans leurs pas, littéralement, de les suivre et de me faire le plus discret possible. J’ai essayé de capturer l’esprit de cette mission. Même si je m’impliquais très fortement au quotidien, sur le plan de la création, j’avais envie de me transformer en simple micro ou en caméra. J’ai essayé de capter tout ce que je pouvais, sur le plan scientifique ou humain. Une mission polaire, c’est beaucoup d’humain. L’aspect scientifique est marginal dans ces moments-là. Il est très fort après, comme il est très fort avant, mais, pendant la mission, on observe surtout des femmes et des hommes qui collaborent dans un but bien précis. »

Savez-vous ce que ces femmes et ces hommes pensent de votre travail ?

François Joncour : « La spécialiste de l’acoustique sous-marine Delphine Mathias me disait que ce travail a permis à ses proches d’enfin comprendre ce qu’elle fait, d’enfin comprendre son quotidien. Peut-être qu’elle leur expliquait les choses de son point de vue et que c’était trop complexe pour eux ou, en tout cas, trop éloigné de leurs réalités quotidiennes. Avec le podcast, ils comprennent son travail. »

En passant par les sensations et les sentiments…

François Joncour : « Voilà ! C’est un peu de la vulgarisation, dans le bon sens du terme : ça rend les choses accessibles, y compris sur le plan des sensations. Les chercheurs ont tendance à dire que, pour produire une bonne science, il faut mettre ses émotions de côté, ce qui, d’après la toute petite expérience que j’ai pu avoir avec eux, ne me semble pas parfaitement juste. J’ai l’impression, au contraire, que cette partie sensitive, émotionnelle, contribue à faire une science plus complète, qui ne discrimine pas les sensations. J’ai le sentiment que ça apporte un supplément. Il me semble que Francis Hallé disait que toutes ses recherches passent par la notion de beauté, que c’est ce qui l’a guidé dans son cheminement. Ça résonne fort avec ce que j’ai pu observer. »

Photo de têtière : Florence D. (via Pixabay)
Pour aller plus loin...
Le site web de François Joncour

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