Pas facile d’être né après l’an 2000… Ce n’était pas « mieux avant », non, la jeunesse vivait déjà dans l’angoisse de lendemains qui chantaient faux, mais Léo, Mathis, Antoine et Ana, les quatre membres de Mauvais Sang, témoignent dans leur rock tout en reliefs d’idées noires nourries par les mutations de la nature et les manipulations mondiales dont ils sont les témoins. Entretien avec le guitariste du groupe…
Votre album précédent s’appelait « La Flore ». Le nouveau « La Faune ». Pourquoi ces références au monde naturel ?
Mathis Saunier : « En fait, La Flore était notre EP. La Faune découle de La Flore. L’idée, à travers ces deux thèmes, était de retrouver quelque chose d’assez primitif, d’assez naturel, autant dans notre son que dans les sujets qu’on aborde. Beaucoup de morceaux traitent de l’écologie. Ils ont été conçus dans la forêt. C’était assez chouette de retrouver quelque chose d’organique. »
Vous avez enregistré en forêt ?
Mathis Saunier :« Non, non. En fait, on a la chance de disposer de la maison de la grand-mère du chanteur, une vieille bâtisse en bordure de Chamonix. Dès qu’on monte, on est en forêt ; on faisait beaucoup de randonnées, ce qui nous a poussés à revenir à quelque chose d’assez naturel. On a ressenti le besoin de retrouver quelque chose d’animal dans notre rapport au son. »
L’album avait été annoncé par un titre consacré à l’impossibilité de se baigner dans la Seine. Pourquoi cette drôle d’idée ?
Mathis Saunier : « C’est une réaction que beaucoup de jeunes ont eu récemment, au moment des Jeux Olympiques. Moi, je ne suis pas du tout parisien mais tout le monde sait que la Seine est extrêmement polluée. Quand les politiques ont lancé l’idée qu’elle pouvait être nettoyée, ils voulaient juste cacher la poussière sous le tapis. C’est ce que dit la chanson : oui, la Seine est belle en surface mais qu’est-ce qui se cache au-dessous ? Antoine, le batteur, a réalisé un clip où il parle de la pollution à travers l’image d’une baleine gigantesque, un peu comme dans le Château ambulant d’Hayao Miyazaki : une espèce de monstre organique qui s’est créé à partir de nos déchets et qui vit sous la Seine. »
Sur ce nouvel album, il est notamment question d’une humanité qui n’apprend pas de ses erreurs ou qui est contrainte de fuir le monde. Qui, chez vous, écrit les paroles ?
Mathis Saunier : « On les écrit à deux, avec Léo Simond, le chanteur. Lui, justement, s’informe beaucoup. Il est assez engagé politiquement. Ce sont des sujets qui nous parlent. On voit bien la montée des extrêmes. On sent que la parole est de plus en plus agressive, pas seulement à la télévision ou sur les réseaux sociaux, même au café ou dans la vie quotidienne. On se dit qu’il y a beaucoup de choses que notre génération n’a pas comprises. Nos chansons sont marquées par un besoin de prendre conscience qui nous concerne tous, nous les premiers. L’album ne se veut pas moralisateur. On réfléchit d’abord sur nous-mêmes. »
Avec La peau ou Modèle, vous posez beaucoup de questions sur notre société faite d’apparences. Le rock joue pourtant lui aussi très souvent avec les apparences, depuis ses origines, depuis les débuts d’Elvis Presley à la télévision, en 1956…
Mathis Saunier : « Le rapport au corps, le rapport à l’image… Les thèmes abordés sur l’album sont très généraux , ce sont les questions que se posent les jeunes. Nous, on a entre 20 et 25 ans et on est la première génération qui a grandi avec les réseaux sociaux. Notre rapport au corps est complètement biaisé. Là où, avant, on avait des icônes qui passaient à la télé (vous mentionnez Elvis Presley mais je pense aussi aux acteurs, aux top models…), aujourd’hui, les corps sont exhibés partout et tout le temps. Sur Instagram, on passe notre temps à se comparer. Beaucoup d’entre nous souffrent de cette comparaison. Notamment notre chanteur. On a tous un gros manque de confiance en soi qu’on voulait mettre en avant à travers nos chansons. C’est une question qui intéresse beaucoup de jeunes. Vous parliez d’Elvis Presley mais on est l’opposé même de la rock star. On est un peu des losers, nous. Notre moyen d’expression, c’est notre musique, c’est le rock. Mais nous ne sommes pas les porte-paroles d’un rock à la Artic Monkeys. On n’a pas cette aura-là… »
Photo de têtière : François Mauger
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