Quels drôles d’oiseaux que les courlis ! Ils arpentent les plages d’un pas résolu, très élégants sur leurs longues pattes, et ne s’arrêtent que pour plonger leur longs becs courbés dans la vase, à la recherche de mollusques ou d’invertébrés. Ils étaient autrefois si nombreux sur les côtes du Royaume-Uni qu’ils faisaient partie de l’un des plats nationaux les plus populaires. La modernisation de l’agriculture a presque eu raison d’eux. Apprenant leur possible disparition, le folk singer écossais Merlyn Driver a décidé de publier une compilation pour leur venir en aide. Longue discussion au moment où il publie son premier album personnel, à nouveau empli du cri des courlis mais également imprégné du chant des crapauds et des oies…
L’album s’ouvre sur Simmerdim, un extrait d’un double album collectif consacré aux courlis. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Merlyn Driver : « Le chant des courlis est la bande-son de mon enfance. Cette chanson explore mes souvenirs de ces oiseaux particuliers et menacés qui chantent dans le « simmerdim » (le crépuscule qui dure toute la nuit dans les îles du nord au milieu de l’été) et leurs déplacements annuels entre la côte et les lieux de nidification à l’intérieur des terres. Je voulais également renverser le conte populaire britannique des « Sept Siffleurs », dans lequel le chant des courlis est considéré comme un mauvais présage. Dans Simmerdim, les sept siffleurs sont accueillants plutôt que sinistres, offrant un chemin vers la paix et l’introspection. Il s’agit d’une nouvelle version de la chanson ; une version antérieure figurait dans mon album Simmerdim: Curlew Sounds, inspiré par les courlis et réalisé en collaboration avec la RSPB en 2022. J’ai écrit cette chanson quand j’ai appris que le nombre de courlis avait chuté de plus de 60 % et qu’ils figuraient désormais sur la liste rouge des oiseaux menacés. La perspective de voir disparaître les courlis de la campagne britannique m’a incité à rassembler d’autres chansons liées à cet oiseau emblématique, notamment afin de collecter des fonds et de sensibiliser le public à sa conservation. Après avoir obtenu le soutien de la RSPB (la plus grande association caritative britannique dédiée à la nature), j’ai contacté des musiciens basés au Royaume-Uni ou dans des pays vers lesquels certains de « nos » courlis migrent, comme la Norvège et la Finlande, et je leur ai demandé de créer de nouvelles musiques inspirées par le courlis. Cela a donné lieu des contributions de Talvin Singh, David Gray, The Unthanks, Tiny Leaves, Cosmo Sheldrake, Camilla George et Tamar Osborn, El Buho (feat. David Rothenberg), Marja Mortensson et Daniel Herskedal, Emily Barker, Puuluup et enfin Tuuletar. Pour le deuxième disque contenu dans ce coffret, j’ai parcouru le Royaume-Uni dans tous les sens, collectant des enregistrements de courlis dans cinq sites du projet « Curlew LIFE », tous sélectionnés en raison de leur importance pour la reproduction des courlis. Si les courlis disparaissaient, nous souffririons bien plus que d’une perte de biodiversité : nous nous couperions également des voies menant à l’imagination, à la conscience et aux sentiments. »
Quels souvenirs ont inspiré votre nouvel album, It Was Also Sometimes Daylight ?
Merlyn Driver : « Cet album s’inspire de nombreux souvenirs d’enfance dans les Orcades. Certains de mes souvenirs préférés remontent à l’époque où j’observais et étudiais les oiseaux et les autres animaux sauvages dans les champs autour de la petite ferme où j’ai grandi. Je n’ai fréquenté l’école locale qu’à l’adolescence et j’ai pu passer beaucoup de temps à l’extérieur, ce qui était parfois une bénédiction. Mais, lorsque les longs mois d’hiver sombres arrivaient, mes frères et sœurs et moi devions trouver nous-mêmes de quoi nous amuser à l’intérieur. Nous n’avions pas l’électricité et la maison était encombrée de bougies et de lampes. Le soir, nous écoutions la radio. Quand j’avais huit ou neuf ans, un magnétophone d’occasion est apparu et mon frère et moi avons eu l’idée de créer notre propre « émission de radio ». L’un de mes premiers souvenirs musicaux est celui où nous avons créé une cassette maison avec des chansons surréalistes et des sons imaginaires, dont « une machine à écrire en dépression ». Nous avons découvert qu’en appuyant simultanément sur « Enregistrer » tout en maintenant le bouton Pause enfoncé à mi-course, nous pouvions modifier la vitesse d’enregistrement et déformer nos voix. Ces souvenirs des Orcades, de leur nature et de nos premières explosions de créativité ont façonné l’album à bien des égards. »
D’où vient ce titre : It Was Also Sometimes Daylight ?
Merlyn Driver : « Le titre de l’album vient d’une remarque faite au cours d’une conversation sur mon enfance. Alors que nous parlions de mon père, zoologiste et écrivain, quelqu’un m’a demandé comment il avait réussi à écrire dans une maison sans électricité. « J’ai répondu : « Eh bien, il y avait aussi parfois la lumière du jour ! » » Un ami a noté cette phrase et me l’a remise plus tard en disant : « Voici le titre de ton album ». D’une certaine manière, ce titre me résume bien, et il capture également une certaine essence des Orcades, où la lumière et l’obscurité peuvent être rares selon la période de l’année.
Pourquoi avez-vous voulu inclure des grenouilles, des crapauds et des oies dans cet album ?
Merlyn Driver : « Il était évident pour moi que je devais inclure les sons de diverses autres espèces, car je suis avant tout un passionné de nature. Avec beaucoup de mes nouvelles chansons, mon objectif est de créer une musique « inter-espèces », qui ne pourrait être produite par une seule espèce. Je commence par les sons d’autres espèces ou les paysages sonores de différents environnements, puis je trouve des moyens de m’y adapter, en m’appuyant sur leur musicalité inhérente. »
De quoi parle Cururu ?
Merlyn Driver : « Pour Cururu, j’ai collaboré avec une biologiste brésilienne, Mariana Retuci Pontes, dont les recherches doctorales portaient sur le crapaud à ventre rouge (Melanophryniscus admirabilis), une espèce extrêmement rare au nom évocateur. Comme ces crapauds sont diurnes, les soirées étaient calmes et, un soir, elle a décidé d’enregistrer d’autres amphibiens au crépuscule autour d’un étang près de la rivière Rio Forqueta, dans l’État de Rio Grande do Sul, où vit la seule population connue de grenouilles à ventre rouge. Le paysage sonore sur lequel s’appuie Cururu est un enregistrement unique, non édité, permettant d’entendre plusieurs espèces qui reprennent leur élan après que Mariana ait temporairement perturbé leur chant du soir avec sa lampe frontale. Une fois celle-ci éteinte, elles reprennent lentement possession du paysage sonore. Les paroles s’inspirent d’une conversation que nous avons eue au sujet des recherches de Mariana et de ses souvenirs de ce moment. Cururu est le nom indigène donné aux crapauds du genre Rhinella, tels que le Rhinella icterica. »
Vous organisez également régulièrement une résidence qui rassemble des musiciens du monde entier, « Making Tracks ». Quel rôle joue la nature dans ce projet ?
Merlyn Driver : « Making Tracks s’articule autour d’une résidence et d’une tournée. Il s’agit avant tout d’un échange culturel et d’une célébration de la diversité musicale, mais, en tant que passionné de nature, j’ai également essayé de rendre cet événement aussi respectueux de l’environnement que possible. Non seulement la plupart des artistes se rendent à la résidence en train, mais nous proposons également à chaque édition un thème différent lié à la nature et nous exposons les musiciens à des approches interculturelles et inter-espèces de la création musicale. »
Photo de têtière : Premek Hajek (via Pixabay)
Pour aller plus loin...
Le site web de Merlyn Driver
Le site web du Curlew Sounds Project