Marc Namblard : « Mon émerveillement va croissant au fil du temps »

Saviez-vous que la cigale ne stridule pas mais qu’elle cymbalise, à l’aide d’une membrane placée sous l’abdomen, qui lui sert de caisse de résonance ? Et que le troglodyte mignon chante en moyenne 12 notes par seconde ? Assister à une conférence de Marc Namblard, c’est parcourir le plus fascinant des bestiaires sonores. Pour se démultiplier, l’audionaturaliste vient de faire publier chez Bayard le texte de l’une de ses interventions. Cet amusant ouvrage, court mais roboratif, est très justement intitulé A l’écoute du vivant. Dialogue avec un audionaturaliste partageur…

Ce livre est issu d’une conférence. Etes-vous de plus en plus sollicité pour des prestations de ce type ? Y a-t-il une mode de l’audionaturalisme ?

Marc Namblard : « Une mode, je n’irai pas jusque là… Mais on a le sentiment qu’il y a un intérêt croissant depuis quelque temps. On est régulièrement sollicité. »

Est-ce la conséquence des confinements ?

Marc Namblard : « Il est possible que ce soit lié à la prise de conscience d’un certain nombre de personnes qui ont été soudain sensibilisées à la présence sonore d’autres êtres vivants dans les lieux où ils vivent. Peut-être souhaitent-elles en savoir un peu d’avantage… C’est difficile à évaluer. C’est plus un ressenti qu’une affirmation qui reposerait sur une étude. »

Dans ce livre, vous décrivez avec de nombreux détails les mille et une façons dont les animaux produisent des sons. Après toutes ces années de pratique, c’est quelque chose qui vous émerveille encore ?

Marc Namblard : « Oui, absolument. Peut-être même d’avantage qu’autrefois. J’ai l’impression que mon émerveillement va croissant au fil du temps. Je n’arrête pas de découvrir des choses, d’apprendre et de désapprendre, notamment ce que je pensais acquis. C’est une source d’émerveillement permanent, c’est certain. »

Les propos que vous tenez semblent constamment étayés par des données scientifiques…

Marc Namblard : « Je n’ai pas du tout un parcours de scientifique, j’ai un parcours de plasticien (j’ai fait les Beaux-Arts). Mais, effectivement, je m’intéresse de très près aux publications scientifiques sur les questions de communication sonore chez les animaux. Le travail des bio-acousticiens et des éco-acousticiens est très complémentaire du travail que nous pouvons faire, nous les naturalistes, sur le terrain. Nous sommes des observateurs, des témoins. Les chercheurs ont une démarche différente. J’apprends énormément grâce aux publications scientifiques, grâce à ce que les chercheurs partagent avec le public. Il y a aujourd’hui – et c’est une bonne chose – d’avantage d’échanges entre les bio-acousticiens et les naturalistes. Ce n’était pas le cas auparavant. Chacun était cloisonné dans son approche et dans sa discipline. Finalement, on a beaucoup de choses à se dire. De nouvelles initiatives nous permettent de nous rencontrer, de discuter et de nous enrichir mutuellement. »

Bande-annonce d’un documentaire de Stéphane Manchematin et Serge Steyer, en grande partie consacré au travail de Marc Namblard

A un moment, dans ce livre, vous vous opposez à la distinction que Bernie Krause établit entre les sons produits par l’homme et les sons produits par les autres animaux…

Marc Namblard : « Oui, son système de classification me pose problème. Il a l’avantage d’être simple. On le comprend facilement. Mais, pour moi, il ne rend pas compte de toute la complexité des phénomènes qu’on peut rencontrer dans la nature et de la porosité qui existe entre les différents univers. Pour moi, l’homme est un mammifère. Je considère que les sons qu’il émet dans son plus simple appareil (non pas les sons produits par ses machines mais ceux que produit son organisme, sa voix notamment) font partie des expressions de la nature. Il y a aussi une vraie porosité dans d’autres domaines : quand on entend le bruit de la pluie dans une forêt, comment peut-on dire s’il s’agit de géophonie ou de biophonie, puisque ce sont des arbres qui se mettent à vibrer sous l’impact des gouttes d’eau ? La distinction entre géophonie, biophonie et anthropophonie n’est pas satisfaisante. Ce qui pose aussi problème, c’est que ça repose toujours – et, ça, c’est une remise en question profonde – sur une opposition entre nature et culture qui est dénoncée aujourd’hui par certains penseurs, notamment, évidemment, Philippe Descola. Je pense qu’on a tout intérêt à sortir de ces classifications pour essayer d’avancer et de trouver des solutions aux nombreux problèmes qui se posent aujourd’hui. Ce n’est pas en créant une opposition entre le monde des hommes et celui de la nature qu’on y parviendra, je ne crois pas. »

Arrivera-t-il un jour où vous aurez tout enregistré ?

Marc Namblard : « Ah non, non, non. Penser ça serait complètement illusoire. J’en ai eu conscience assez tôt. Il y a une infinité de variations dans la nature. On pourrait passer une vie entière à n’enregistrer qu’une seule espèce, on se rendrait compte que, même à ce niveau-là, les variations sont innombrables, parce qu’on a affaire à des communautés, à des individus… Les expressions sont souvent singulières. Elles changent au fil des générations. Je ne cherche pas à enregistrer tout ce qui se manifeste dans la nature autour de chez moi (et encore moins partout dans le monde), je prends ce qui m’est donné. C’est déjà beaucoup, c’est déjà la source d’un grand bonheur pour moi. »

A lire : A l'écoute du vivant (Bayard)
Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Marc Namblard

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *