Saviez-vous que 2025 était « l’Année internationale de la préservation des glaciers » ? Si cela vous avait échappé, les artistes, eux, ont été nombreux à s’emparer de cette thématique. L’artiste sonore Pablo Diserens a publié sur son label, Forms of minutiae, des enregistrements glaçants de Cheryl E. Leonard, Yoichi Kamimura, Ludwig Berger et Marc Namblard. Aurélien Burion, plus connu sous le nom de Ghost in the loop, a de son côté fait graver ses compositions (co-écrites avec Flavien Berger et Quentin Mosimann) sur un vinyle fait d’eau des glaciers congelée, qui, naturellement, n’a qu’une espérance de vie assez brève.
C’est ainsi : 4’33 Magazine s’est donné pour mission de donner la parole à tous les artistes qui se préoccupent de l’environnement. Rapide survol des 94 articles parus en 2025…
Du côté du jazz, l’année a été marqué par un album de la batteuse et compositrice Anne Paceo inspiré par ses plongées sous-marines. Le saxophoniste David Murray s’est, quant à lui, passionné pour les oiseaux. La chanteuse et cheffe d’orchestre Ellinoa a fait de même, mais en allant écouter ceux du Japon, un pays dont rêve également le pianiste Alexis Croisé. Figure majeure du latin jazz contemporain, Arturo O’Farrill a demandé aux musiciens de son big band de méditer sur le destin des gouttes d’eau. Le groupe de jazz franco-brésilien Sapocaya a tendu l’oreille vers l’Amazonie.
L’ambiance n’a pas toujours été très gaie en cette année d’échec de la COP30. « Le monde s’écroule sous nos pieds / Ça nous empêche pas de danser » a chanté le bien nommé Sam Sauvage. Le trio parisien Kriill a parlé de « bonheur avant le cataclysme », de « joie avant que tout ne s’effondre ». Le groupe de rock Mauvais Sang les a rejoints dans le marigot des idées noires. Un autre trio, Evergreen, leur a répondu avec une pop plus optimiste et des histoires de végétaux qui s’adapteraient à la technologie. Le duo strasbourgeois Outed a baptisé son nouvel album « Ver de terre ». Stéphane Barrière a décidé de se faire appeler « L’homme-héron ». Pendant que Vianney, le célèbre juré de « The Voice », se construisait une cabane sous les yeux de centaines de milliers d’internautes, Emma Loriaut et Julien Clauss égrainaient discrètement les données météorologiques. La chanteuse d’origine sénégalaise Awa Ly a exalté la puissance des 4 éléments. François Joncour a publié un nouvel album et une série de podcasts issus d’une expédition scientifique au Spitzberg. Enfin, le chanteur Matjé et le rappeur Lémofil se sont portés au secours de Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, désormais libéré.
Un professeur de la Technische Universität de Berlin, Thorsten Philipp, a analysé les différentes réactions des chanteurs de pop aux prévisions apocalyptiques. The Antlers y ont répliqué avec une série de contes de la dévastation généralisée. Matthew Sage avec un retour au Colorado, à l’écoute de l’environnement. Les Canadiens de The Weather Station ont fait rimer chaos planétaire et douleurs intimes. Le chanteur de la Nouvelle-Orléans Jon Batiste a vanté l’odeur de la terre après la pluie. Beirut a chanté pour le Tigre de la Caspienne, Neil Young pour les arbres. Dirty Projectors a repris le Chant de la Terre de Mahler. Le gériatre et neurologue Olivier Beauchet a proposé à des rockers inuits de mettre en musique des données scientifiques sur la fonte des glaces et le dégel du pergélisol.
La Japonaise Ichiko Aoba a publié un disque apaisant inspiré par ses plongées dans l’archipel Nansei. La bassoniste Sophie Bernado est revenue d’Hawaï les oreilles emplies du chant des baleines. D’origine vénézuélienne, Rebecca Roger Cruz a chanté sur son premier album en solitaire les rivières, les oiseaux et les paysages que rien n’efface. Le chanteur calabrais Davide Ambrogio a livré une saisissante relecture des chants religieux du sud de l’Italie. Le Duo Ruut a décrypté les changements météorologiques de l’Estonie. Le chanteur folk Merlyn Driver s’est souvenu du chant des courlis et de son enfance dans les Orcades. Marti Ilmar Uibo est revenu à la Préhistoire, en jouant sur des pierres ou des mâchoires d’âne, en soufflant dans des flûtes en os… Début d’une révélation : l’activiste indienne Aditi Veena, alias « Ditty », nous a rappelé que « l’environnement est une construction occidentale ».
La musique classique a également regardé vers l’orient. C’est l’Américano-Philippine Susie Ibarra qui a reçu le prix Pullitzer pour son évocation des écosystèmes forestiers tropicaux. Le Brésilien Antonio Santana a fait retentir La voix des océans salle Cortot. Le compositeur Sébastien Gaxie est revenu de Guyane avec l’envie de raconter la riche temporalité de cette forêt. Nicolas Frize a effectué une résidence bien plus près, dans un parc de Seine-Saint-Denis. Les Chanteurs d’oiseaux ont réconcilié musique classique et plein air. Le Quatuor Tchalik a bataillé pour que les luthiers puissent protéger les forêts, le collectif états-unien Climate Music Project pour que les compositeurs puissent créer de nouvelles œuvres.
Place aux jeunes talents de la musique électronique : Birrd et MaMan ont publié un premier album, Wildforms a reçu le Tune Into Nature Music Prize avant même cette étape. Plus expérimentés, Biosphere a revisité la vie dans le Kentucky au début du XXe siècle, Jean-Jacques Birgé a écouté les insectes d’Amazonie et le batteur Christophe Piot, alias Electroplume, a restitué la majesté d’espèces d’oiseaux disparus. A Manchester, Bionic and the Wires ont inventé un bras robotisé qui permet aux plantes de jouer de la musique, quand le Français Anthony Doux préfère improviser à l’accordéon en leur compagnie.
2025 a vu disparaître le compositeur Pierre Mariétan et Jean-Claude Roché, un pionnier de l’enregistrement en pleine nature, dont les bandes ont notamment inspiré le compositeur Olivier Messiaen. Mais la relève est là. Grant Cutler a mis en scène les mouvements des océans sur son nouveau disque. L’Australienne Alexandra Spence s’est passionnée pour les moutons des Pyrénées, Luís Antero pour les réserves du Portugal. Jean Poinsignon s’est constitué un orchestre animal. La jeune écoacousticienne Adèle de Baudouin a suivi la voie ouverte par ses aînés, Christine Groult et Marc Namblard, qui ont collaboré autour des sons des bords de l’océan.
En 2025, la musique s’est mise en mouvement de mille façons. L’orchestre symphonique les Forces Majeures s’est hissé sur ses vélos pour une tournée dans les Hauts-de-France. En Nouvelle Aquitaine, le collectif Slowfest, spécialiste de la mobilité douce, a fêté ses 10 ans. En Normandie est apparu Carpanorama, une scène très mobile qui fonctionne à l’énergie solaire. La plate-forme CooProg, qui permet aux programmateurs de préparer des tournées plus rationnelles, a enfin été lancée. Le compositeur Michel Redolfi a donné des concerts sous l’eau. Le Festival Back To The Trees est revenu dans le bois d’Ambre, au sud-ouest de Besançon. Le festival Baie Sonore a réfléchi à la meilleure façon de trouver sa place en Baie de Somme. Will Menter a inauguré de nouvelles installations qui font dialoguer notes humaines et sons de la nature. Lorella Abenavoli et Arthur Enguehard ont permis d’écouter les volcans. Certes, il faudrait planter 5,8 millions d’arbres pour compenser l’impact des écoutes de Taylor Swift sur Spotify mais Billie Eilish agit pour le climat en organisant, en marge de sa tournée, des rencontres entre militants et fans. En Australie, les mélomanes sont invités à voter pour les titres les plus écologistes. Qui obtiendra l’« Environmental music prize » ? Peter Garrett ? Angus & Julia Stone ? Yugal Yulu-Gi ?
Ailleurs aussi, les musiciens s’engagent. Notamment au Brésil, où Lenine, Ney Matogrosso et Éric Terena se sont fait entendre pendant la COP30. La Sacem a consacré une exposition numérique à la version francophone de cette musique écologique, en mettant en avant Fakear, Hubert-Félix Thiéfaine, Tiken Jah Fakoly ou Kamini. Le pianiste Patrick Scheyder n’y figure pas et c’est une erreur parce qu’il se démène, donnant des concerts avec l’arboriste Thomas Brail ou surveillant de près le réseau des Maisons de l’Ecologie Culturelle, qui sont désormais une trentaine en France.
Qu’y lit-on ? Probablement Pour une écologie de la musique et du son, le nouvel essai du musicologue Makis Solomos, ou Sonder le monde, de Pauline Nadrigny, une philosophe qui s’intéresse aux enregistrements de terrain. A moins qu’on n’y débatte avec des musiciens de l’avenir de la banquise. « L’Année internationale de la préservation des glaciers » s’achève mais l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé que, jusqu’en 2035, nous serons dans la « Décennie d’action pour les sciences cryosphériques » !
Photo de têtière : François Mauger