Kriill, la pop et « la joie avant que tout ne s’effondre »

Il faut une certaine modestie pour appeler son groupe « Kriill », en référence aux minuscules crustacés des eaux froides dont raffolent les baleines, puis choisir « Plancton Records » comme nom de label. Après un premier album retentissant et une grande tournée, baptiser son deuxième opus « Listen to the whale » est le signe d’autre chose, d’une belle suite dans les idées, d’accord, mais aussi d’une ambition de refléter les vertiges de son époque. Sous des dehors pop, les trois membres du groupe cachent une réflexion amère qui établit des parallèles entre les relations amoureuses destructrices et les liens toxiques entre l’humanité et son environnement. Deux des musiciens précisent leurs pensées…

Pourquoi avez-vous appelé cet album « Listen to the whale » ?

Klaar Frankenberg : « Cette phrase vient des paroles de la chanson Replay et, quand on l’a chantée, on s’est aperçu qu’elle nous convient bien. C’est un bon résumé de l’album, parce que c’est une invitation à écouter le vivant et à prendre soin des choses qui nous entourent, même si on n’a toujours pas les outils pour réparer. C’est une invitation à écouter cet album en faisant attention. Ce qui est amusant, c’est qu’on s’appelle « Kriill » et que la baleine est notre prédateur. Ce contraste aussi nous convient bien. »

Est-ce que le krill écoute la baleine ?

Klaar Frankenberg : « Il devrait ! »

Le clip de Biouti est très parlant. Qui en a eu l’idée ?

Klaar Frankenberg : « C’est un studio américain qui s’appelle Linefolk. Il nous a contactés et nous a demandé si on voulait collaborer avec eux sur une chanson. On a dit « Oui ». On a proposé trois morceaux, ils ont choisi celui-ci en nous proposant ce scénario. Il nous a tout de suite plu parce qu’il reprend vraiment les sujets abordés par l’album : la relation à la nature, l’attention au vivant… La notion d’aquarium inversé au début du clip nous a beaucoup parlé. C’est une espèce de bulle, de bulle d’illusions, une bulle dans laquelle on se niche pour vivre au quotidien et ne pas affronter les changements qui nous arrivent en pleine face. Le protagoniste du clip finit par casser cette bulle, dans sa rage et dans son amour. »

Cet aquarium permet aussi de remettre en perspective la place de l’humanité, qui ne représente finalement pas grand-chose dans l’ensemble du vivant…

Klaar Frankenberg : « En effet, dans l’univers, l’humain n’est pas grand-chose. Mais, sur notre petite planète, il joue le rôle principal… »

Sur vos photos (et aussi un peu dans votre manière de chanter), vous affichez une attitude très détachée, très posée. Est-ce votre attitude dans la vie ?

Richard Pons : « Non, pas du tout. Au quotidien, on est plutôt chaleureux, décontracté. En concert, ça se voit. On a un côté très affectueux, très rigolo, on interagit énormément avec le public. Entre nous, on aime bien se surprendre. On aime aussi emmener les spectateurs dans cette intimité qu’on a entre nous. Le choix de l’attitude sur les photos est venu à force d’expérimenter. La photo, c’est tout un sujet. On avait du mal à être satisfait. Un jour, on a posé comme si on était une famille d’autrefois qui reçoit, dans son village, le photographe une fois par an et c’est le moment où il faut s’habiller bien. Dans ces photos de famille à l’ancienne, tout le monde est un peu crispé. »

Klaar Frankenberg : « C’est dû au temps long d’exposition des appareils photos de l’époque. »

Richard Pons : « On a aimé ce côté : on prend la photo au premier degré, pour ce qu’elle est, c’est-à-dire qu’on est naturellement pas naturel. C’est venu comme ça, de cette idée de photo du dimanche, après l’église. »

Dans votre musique, il y a beaucoup de douceur, de l’harmonie, mais aussi une sorte d’angoisse légèrement grinçante…

Richard Pons : « Ça exprime notre fascination, ou notre vertige, face à l’œuvre de la nature, face à l’univers. Quand on lit des choses sur la biologie, sur l’astrophysique, on est à la fois émerveillé, pris d’un amour immense pour la beauté, et, en même temps, ce côté infini et insaisissable est inquiétant. Ça s’entend dans notre musique. Le côté à la fois détendu et chaleureux qu’on peut transmettre dans nos notes ou dans nos paroles est toujours contrebalancé par l’inquiétude. »

Klaar Frankenberg : « Pour revenir au thème de l’album, Listen to the whale, c’est le bonheur avant le cataclysme, la joie avant que tout ne s’effondre. C’est quelque chose qu’on vit au quotidien, nous-mêmes. On fait de la musique, on est heureux tous les trois, on vit, on va au restaurant, alors que les scientifiques s’accordent tous à dire qu’il y a une catastrophe climatique de taille qui va frapper l’humanité. Peut-être pas de notre vivant mais ça devient quasiment inévitable. Cette petite note inquiétante, malgré la beauté de notre quotidien, plane au-dessus de nos têtes, comme une épée de Damoclès. C’est peut-être ça que vous décelez dans notre musique… »

Qui est ce « favourite human » qui clôt le disque ?

Klaar Frankenberg : « Ce « favourite human », en vrai, c’est l’actuelle compagne d’Eliott. L’album parle beaucoup de relations torturées et difficiles et c’était une libération de trouver ce « favourite human ». C’est comme ça qu’Eliot a écrit cette chanson. Mais, nous trois, nous somme trois « favourite humans » les uns pour les autres, avec qui il est très agréable de passer du temps et de boire du thé. De manière plus symbolique, le « favourite human », c’est peut-être ce moment où on boit le thé avec des gens qui nous plaisent. Les « favourite humans », c’est nos amis, c’est nos familles, c’est la maison, quoi, les choses qui nous rassemblent et nous rassurent. »

Mais quand l’album redémarre, Favourite human se prolonge par le premier titre, Fuckin’ up my life, dans une terrible continuité…

Klaar Frankenberg : « Oui, l’album peut prendre la forme d’une boucle. C’était une volonté de montrer que tout est cyclique : le bonheur, le malheur, la vie… La vie est faite de saisons et on ne peut pas y échapper. Dans la pluie de la fin de l’album, on peut entendre comme un écho du début de l’album. »

Photo de têtière : Détail de la pochette de Listen to the whale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *