Jean Poinsignon : « Je me constitue une sorte d’orchestre d’animaux »

Imaginez une arche de Noé dont les passagers seraient invités à chanter. Cela ressemblerait à un disque de « Bestioles », soit un immense collage de bourdonnements, d’appels et de caquètements, interprété par des batraciens, des oiseaux et des mammifères de tous poils. Un nouvel épisode de cette série paraît cet été, enrichi par les interventions de la violoniste Laure Schappler. Jean Poinsignon, le musicien qui se cache derrière ce projet, en révèle les secrets…

Pourquoi avez-vous choisi le nom de « Bestioles » ?

Jean Poinsignon : « C’est le quatrième album de Bestioles. J’ai pris ce nom générique parce que je n’en trouvais pas d’autre pour traduire mon attitude affectueuse par rapport aux animaux. Une bestiole, c’est une petite bête, un être vivant pour qui on peut avoir de l’empathie. Mes petites bêtes vont des plus grosses, comme les baleines, aux plus petites, comme les hyménoptères, en passant par les oiseaux, bien sûr. L’album que je publie cet été, je l’ai appelé Paréidolie. C’est un mot savant pour désigner quelque chose dont tout le monde a l’expérience : repérer dans les formes de la nature une image qu’on a dans notre esprit. Par exemple, un nuage dans le ciel qui a une tête de bonhomme. J’associe ça au son : il y a des paréidolies musicales. »

Comment procédez-vous pour composer ? Vous commencez par enregistrer ?

Jean Poinsignon : « Oui, j’enregistre les sons de la nature. Pas tous. Certains, je n’ai pas pu les enregistrer moi-même. Il faut sans doute plus de patience que je n’en ai. Des amis, qui sont des phonographe brillants, me passent des sons. Je pense aux membres de l’association Sonatura et à Fernand Deroussen ou à Marc Namblard. Je tire de ces sons la matière de mes compositions. J’utilise un sampler, un outil informatique, qui permet de jouer avec n’importe quel son. Je peux jouer de la mésange, je peux jouer de la baleine… Je me constitue une sorte d’orchestre d’animaux, pour lequel je peux composer, pour lequel je fais des arrangements. Certains sons sont plus intéressants que d’autres pour les mélodies. D’autres servent pour le rythme. Les insectes jouent souvent le rôle des percussions. Mais, bon, comme dit Fernand Deroussen, « quand on croit qu’on a enregistré un oiseau, en fait, c’est un insecte ; quand on croit avoir enregistré un insecte, c’est un oiseau ». Il y a une telle diversité dans la nature, tellement d’inventions de la part des animaux, donc du vivant (dont on fait partie), qu’on est toujours étonné, surpris et émerveillé. »

Qu’est-ce qui vous a poussé vers le monde animal ?

Jean Poinsignon : « Mon parcours est d’abord celui d’un musicien de studio. J’ai beaucoup travaillé pour l’image, pour la télévision, pour Arte en particulier. J’ai composé pour des films, des dessins animés, j’ai fait des bruitages, j’ai appris à manipuler les sons… Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, pour ainsi dire, c’est notamment un disque fait par l’Inra au début des années 80. Il s’appelait Entomophonia. Il faisait entendre des sons d’insectes que, parfois, ils ralentissaient pour qu’ils entrent mieux dans nos oreilles. Beaucoup d’insectes chantent dans les aigus ou les suraigus, voire dans les ultrasons. Plus les fréquences sont élevées, moins l’humain les entend (surtout lorsqu’il vieillit). Baisser un son d’une octave multiplie par deux sa durée. Il y a bien sûr des limites à ce procédé puisque des distorsions se produisent quand on s’éloigne trop de la hauteur d’origine. Entomophonia signifie « la voix des insectes », alors que les gens ont l’habitude de parler du « bruit des insectes ». Les insectes aussi chantent. Dire que ces sons sont déjà de la musique est important. Il y a eu ensuite le film Microcosmos… »

De Jacques Perrin, avec la musique de Bruno Coulais !

Jean Poinsignon : « Oui. Ce film a aussi été important parce qu’il permettait de changer d’échelle. On se mettait au niveau d’un insecte. Ce changement d’échelle est comparable au changement de hauteur. Sont venus après la lecture de Darwin, la fréquentation des amis de Sonatura, l’engagement d’Olivier Messiaen, qui a composé à partir d’une matière sonore animale… Lui avait du papier à musique, moi, j’ai un enregistreur. Je ne me compare pas à Olivier Messiaen, qui est un grand compositeur, mais il y a un point commun. »

Quelle est votre philosophie de travail ? Certaines pièces semblent assez facétieuses…

Jean Poinsignon : « J’essaie de montrer qu’on peut avoir de l’empathie, qu’on peut ressentir ou essayer de ressentir ce qu’on imagine que l’animal ressent. Ça nous rapproche. Il ne faut pas avoir peur de la nature. La nature est une source d’émerveillement quotidien. J’ai commencé à faire de la musique en faisant de la chanson. J’ai conservé ce format court, d’environ 3 minutes. Sur Paréidolie, il y a des titres très courts, d’à peine une minute. L’album se termine avec un morceau de 8 minutes mais, pour moi, c’est très long. Le côté fantaisiste vient de l’envie de montrer qu’il y a de la vie, qu’on peut s’amuser. De toute façon, faire ce que je fais est très amusant. Je fais des formes avec de la matière organique. J’ai appris à respecter les auteurs de ces chants. Ma philosophie, si on peut présenter les choses ainsi, c’est qu’avec l’électronique et l’informatique, on peut faire n’importe quoi mais que, moi, je tiens à garder une connexion, un contact avec le monde animal et à préserver une part de sa beauté. Je suis très contemplatif. Même quand je fais des choses rigolotes (j’ai fait une adaptation de La Marseillaise avec les animaux de la basse cour). Il y a aussi dans ce que je fais des choses assez sombres, de l’ordre de la musique électroacoustique, mais je cherche toujours ce qui fait rêver. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Jean Poinsignon

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