Alexandre Lévy transforme « Croire aux fauves » en opéra-installation

On pourrait presque dire que le compositeur Alexandre Lévy attendait Croire aux fauves, le récit que l’anthropologue Nastassja Martin a tiré de sa rencontre avec un ours sur un volcan du Kamtchatka. « Cela fait des années que je travaille sur le lien qu’on peut avoir avec le vivant, d’une manière générale, notamment avec les végétaux, avec les arbres, et ça fait des années que je cherche à travailler sur le rapport humain / non-humain » confie-t-il. « Qu’est-ce que l’animal sauvage nous apprend sur nous-mêmes ? Depuis de nombreuses années, je suis traversé par ce genre de questions. Je me suis documenté, comme je le fais chaque fois, notamment au travers d’auteurs de la nouvelle anthropologie française, fondée ou refondée par Philippe Descola. Ces chercheurs travaillent sur des sociétés qui considèrent qu’il n’y a pas de réelle frontière entre les espèces, que les humains et les non-humains partagent les mêmes réalités, qu’elles soient visibles ou invisibles. Dans tout ce que j’ai pu lire, il y a un lien indéfectible entre les vivants et le lieu dans lequel ils sont. Le paysage est décrit comme une sorte d’entité entière dans laquelle les différents règnes cohabitent et participent de la même réalité. Mais tous ces textes anthropologiques, certes passionnants, manquaient d’histoires. Je suis un homme de théâtre, de spectacle, j’ai besoin d’histoires fortes et courtes. Les performances ou les spectacles que je fais doivent être saisissants. C’est par hasard que je suis tombé sur Croire aux fauves de Nastassja Martin. Là, avec Croire aux fauves, j’avais un récit contemporain, puisque l’histoire s’est déroulée en 2015. L’autrice raconte une rencontre cruelle avec un animal sauvage mais, surtout, elle raconte comment cette rencontre a été annoncée par tout un tas de signes, depuis sa plus tendre enfance. Finalement, l’animal sauvage l’accompagne depuis qu’elle est toute petite. Pour moi, c’est un support qui me permet, avec un ressort dramaturgique simple, de parler du rapport humains / non-humains. »

Alexandre Lévy a donc demandé au comédien, dramaturge et metteur en scène Stéphane Delbassé d’adapter le texte. Le compositeur a ensuite réuni une troupe hybride, composée d’une chanteuse lyrique, Elise Dabrowski, qui incarne l’anthropologue jusque dans ses cris, d’un basse profonde, Jean-Christophe Brizard, capable de chanter une octave au-dessous des voix humaines ordinaires et d’une vocaliste atypique, Marie-Pascale Dubé. Cette chanteuse a adopté les techniques vocales du cercle polaire arctique, souvent inspirées du son des éléments et des chants des animaux. « Je l’ai enregistrée, je l’ai samplée, j’ai mélangé sa voix à des sons électroniques et à des voix animales pour atteindre une étrangeté » explique l’auteur de l’installation sonore interactive Vibration Forest.

Ces trois voix dialoguent avec celles de quatre animaux totems, dont, bien sûr, un ours, mais aussi un renard qui, dans les souvenirs de Nastassja Martin, avait dévasté la volière de son père. Au centre de la scène trône une gigantesque sculpture de Sophie Lecomte, représentant à la fois un visage de femme et un visage d’ours. « Cette tête illustre ce qui arrive à l’héroïne, parce que sa rencontre avec l’ours l’a fait éclater en mille morceaux. La tête s’ouvre, se démonte, se démembre. Cette installation est le lieu de la rencontre avec l’animal mais aussi un espace mental, l’espace de ses rêves. Et c’est un espace vivant : quand on a fini de jouer la pièce, le public peut investir l’installation et entendre les rêves, interagir pour obtenir des bribes de textes, comme des souvenirs. Je travaille souvent sur des installations parce que j’aime transformer les espaces. Il y a dans toutes les cultures qu’évoque la nouvelle anthropologie française la notion de lieux qu’on pourrait qualifier de « magiques », dans lesquels il y a des entités qui sont en écoute perpétuelle. Le moindre brin d’herbe, le moindre caillou, la moindre branche, le moindre ruisseau est à l’écoute de ce qu’il se passe. Si on sait écouter, on peut réentendre, on peut revoir, on peut revivre des choses qui se sont passées à cet endroit-là. J’ai trouvé cette idée très forte. C’est l’idée maîtresse de l’installation : un endroit qui se souvient de ce qu’il s’est passé. » Une idée qui, effectivement, méritait d’être explorée…

Après des résidences à la Maison Yourcenar, à l’abbaye de Beauport et à celle de Noirlac, à l’Astrolabe Orléans et dans les studios de GRAME (Générateur de Ressources et d’Activités Musicales Exploratoires), Fauves, l’ « opéra-installation » d’Alexandre Lévy, qui a bénéficié d’un soutien à l’écriture d’œuvre originale de la Direction générale de la création artistique (DGCA), sera présenté au public pour la première fois au Château de Beaugency, dans le Loiret, à l’occasion des Journées du Patrimoine 2024.

Photo de têtière : Camera-man (via Pixabay)
Pour aller plus loin...
Le site web de la compagnie d'Aléxandre Lévy, Akousthea
Le site web du Grame
Le site web du château de Beaugency

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