« Ce récit m’a énormément plu, je m’y suis reconnu » confie Frédéric Pattar, le compositeur qui travaille avec l’équipe de l’Ircam à une adaptation de Croire aux fauves, un récit de Nastassja Martin. Cette chercheuse a, lors d’une mission anthropologique au Kamtchatka, été blessée par un ours et livre dans ce texte les réflexions qui ont suivi cet incident. « Je n’ai jamais rencontré d’ours, je ne suis pas anthropologue non plus », continue Frédéric Pattar, « mais je me suis intéressé au rapport que ce récit induit avec l’animalité, avec des formes de consciences qui sont totalement autres et sur lesquelles on a projeté par le passé énormément d’aspects symboliques. Cette question-là, c’est quelque chose qui me touche personnellement. »
Frédéric Pattar a donc préparé une « musique-fiction », spectacle d’un genre nouveau qui confronte un texte, ici dit par Audrey Bonnet, et une création musicale électroacoustique, au cœur de dizaines de haut-parleurs. Pour évoquer les grands espaces décrits dans Croire aux fauves, ses forêts hivernales et ses glaciers à flancs de volcans, Frédéric Pattar n’a pas souhaité d’instruments ou de chants locaux. « Cela aurait été terrible d’essayer de travailler sur un imaginaire sonore qui n’est pas le mien. Cette forme d’exotisme ne m’intéresse pas du tout. En fait, tout instrument de musique me semblait encombrant dans ce projet, même si j’écris, par ailleurs, en grande majorité de la musique instrumentale » explique-t-il, avant d’ajouter « Pour donner une impression d’espace, je me suis vraiment creusé la tête. J’ai utilisé des sons que j’ai captés moi-même, au hasard de mes pérégrinations. J’ai enregistré énormément de paysages sonores en Irlande, dans le Kerry, un endroit très calme, au sens où il n’y a pas de moteur, ni de bateau ni d’avion. J’ai pu enregistrer sans pollution sonore. Comme c’est en Irlande, on entend parfois des moutons, qui n’ont pas forcément grand-chose à faire au Kamtchatka, ou des faisans (mais personne ne les reconnaît). La prise de son est très identifiable ; chaque son a son empreinte, son identité mais il ne renvoie pas forcément à un aspect visuel, à une image précise. Parmi les sons que j’avais captés, il y avait notamment un feu d’artifice du 14 juillet. Il n’a rien à voir avec Croire aux fauves mais, en le réécoutant, je me suis rendu compte que c’était l’un des rares sons qui donnent la sensation d’un espace très grand, très ouvert, qui expriment la notion de distance. Sur les moments du récit qui se passent au Kamtchatka, à l’air libre, ces sons fonctionnent plutôt bien. »
La composition de Frédéric Pattar n’est pas exclusivement issue d’enregistrements de terrain. « La rencontre avec l’ours représente une toute petite partie du récit, la majeure partie se situe dans des hôpitaux » rappelle-t-il. « Pour évoquer cet univers-là, très froid, je me suis beaucoup servi de sons électroniques, en particulier des sons électroniques les plus primitifs. J’ai travaillé avec un synthétiseur analogique qui produit des sons très riches mais d’une pureté presque effrayante et je les ai mis en regard avec les paysages sonores. »
Ainsi, entre ajouts et contrepoints, s’enrichit Croire aux fauves, un récit qui pousse ses lecteurs – et désormais ses auditeurs – à repenser la distinction entre mythe et réalité, nature et culture, passé et présent, rêve et connaissance…
Photo de têtière : Simone Cappe (via Pixabay)
Photo de l'enregistrement dans le Kerry fournie par Frédéric Pattar
Pour aller plus loin...
Les prochaines représentations de la musique-fiction Croire aux fauves, les 5, 6 et 7 juin à l'Espace de projection de l'Ircam (Paris)