Les Chanteurs d’oiseaux : « Je ne me sens pas musicien, je me sens oiseau »

Jean Boucault et Johnny Rasse, les deux « Chanteurs d’oiseaux », sont constamment sur les routes. Cet automne, ils zigzaguent entre Saint-Florent-le-Jeune (dans le Loiret) et Noyon (dans l’Oise), en passant par Canéjean (Gironde) ou Ronchamp (Haute-Saône). Comment leur amour des oiseaux de la Baie de Somme est-il ainsi devenu le moteur d’une éternelle tournée ? Les explications de Jean Boucault sur leur relation à la musique…

Je n’ai pas relu intégralement votre formidable livre, Chanteurs d’oiseaux, mais je ne crois pas qu’il y soit question de la musique que vous écoutiez ou que vous jouiez dans votre enfance. Pas de cour de piano ou de trompette ?

Jean Boucault : « C’est très étrange : j’étais dans un univers très musical mais je n’avais pas envie d’y être. Ma sœur était du genre « premier prix de piano ». Elle jouait toute la journée, la maison était inondée de notes. J’écoutais de la musique sans vouloir l’écouter. Mon père était plutôt fan des Beatles. Il mettait ses disques à tire-larigot. Moi, ça ne m’attirait pas mais je me suis formé l’oreille et j’ai réalisé le travail nécessaire pour arriver à une interprétation parfaite d’un morceau. Après, ma sœur s’est mise à jouer de la flûte. Je l’écoutais sans pratiquer moi-même. J’avais la chance, à la différence de Johnny, d’aller à des concerts avec mes parents. Il y avait un très beau festival à Saint-Riquier. On y a vu Rostropovitch quand j’étais petit. Quatre ou cinq fois par an, on assistait à de superbes concerts. J’étais émerveillé mais, en même temps, je subissais un peu ces sorties, parce que, moi, mon unique bonheur, c’était d’être dans la nature, les pieds dans mes bottes. Mon éducation musicale a été subie, mais dans le bon sens du terme. La musique correspondait pour moi à un univers clos, fermé, dans la maison les jours de pluie. Elle ne symbolisait pas la liberté. Johnny, lui, avait une culture pop. Plus tard, quand Jean-François Zygel nous a dit « Mais vous pouvez faire des choses en musique, essayez », une porte s’est ouverte. Je me suis dit « Oui, j’ai le droit, on peut s’amuser avec la musique ». On a pris des cours avec Jean-François. Il nous a montré des partitions d’orchestre en nous disant « Là, je suis sûr qu’il y a de la place ». Soudain, on jouait à nouveau comme des enfants. J’avais à nouveau 12 ans et j’avais le droit, comme ma sœur, de m’amuser avec la musique. C’est une révélation qui est arrivée sur le tard. »

Comment s’est passé ce moment où vous avez senti que vous aviez votre place dans la musique. C’est arrivé au Festival des Forêts avec Jean-François Zygel ?

Jean Boucault : « Exactement. On s’est rencontré là. Il nous a fait écouter des centaines d’heures de musique : du Messiaen, des compositions, des endroits où il sentait qu’il pouvait y avoir de l’oiseau, des improvisations de sa part, des improvisations de jazzmen… Il était lui aussi émerveillé, parce qu’il tombait sur un univers qu’il ne connaissait pas du tout : les sons de la nature et une forme de musicalité qui nous est propre. Il est professeur d’improvisation. Il rencontre des gens qui sont formés à une certaine musicalité, qui sont dotés d’un certain savoir-faire. Finalement, sans qu’on le sache, il accède à un nouveau monde. Nous, dans le sens inverse, on admire sa capacité à reproduire ce qu’on fait avec son piano, à nous faire travailler nos chants d’oiseaux, à nous pousser à les dé-rythmer, à les interpréter différemment… On a appris à changer de tessiture. On s’est mis à jouer avec les sons d’oiseaux, à en faire une matière sonore qui peut s’accorder, s’harmoniser avec la musique. Et, la musique, on lui apportait ainsi un élan, une patte, quelque chose de novateur. Ça s’est passé comme ça. Pendant trois ans, on a fait plein d’essais avec Jean-François Zygel, dans différents orchestres, avec des formules parfois baroques. Il nous a fait intervenir dans son émission de radio, Cabaret classique, sur France Musique. On a travaillé avec plein de compositeurs différents et plein de musiciens. »

Et, aujourd’hui, vous vous sentez musiciens ?

Jean Boucault : « Pas du tout. Je me sens oiseau. Je n’ai aucunement la prétention d’être musicien. Je sais juste qu’avec Johnny, nous avons une oreille particulière. Nous savons quels oiseaux vont avec quel type de musique. Je reconnais un compositeur à mon oreille d’oiseau. J’entends des choses dans la musique que les musiciens n’entendent pas. Parfois, ceux qui travaillent sur du Messiaen sont éberlués parce qu’on entend des choses et qu’on leur dit « Non, cette note-là doit être un peu plus longue, comme dans un chant de rouge-gorge ou de rossignol ». On est fou de musique. Je passe des heures à chercher des morceaux qui sont inspirants. J’y trouve des oiseaux cachés. La musique est dans tous nos spectacles. On est des passeurs de chants d’oiseaux et des passeurs de musique. Mais je suis oiseau, un oiseau qui travaille avec la musique, comme d’autres oiseaux s’amusent avec le vent dans les arbres. L’une des premières choses que l’humain a su faire, c’est de la musique. Nous, on joue avec. »

Vous évoquez les origines de la musique. Vous qui êtes au point de confluence de la nature et de la musique, vous réfléchissez souvent à la façon dont la musique a émergé ?

Jean Boucault : « Ce n’est pas notre travail. Nous ne sommes pas historiens. Nous n’avons pas fait de recherches. J’ai souvent parlé avec des personnes qui s’intéressent à ce sujet. J’ai lu le texte de Darwin sur le rapport entre l’homme et la musique, la recherche de la beauté absolue… Mais je n’ai aucune compétence d’historien ou de musicologue. »

En ce moment, après diverses formules, vous tournez avec des musiciens qui jouent d’instruments à vent. Pourquoi ce choix ?

Jean Boucault : « Pour plusieurs raisons… On joue avec le plus d’instruments possibles : avec des pianos, des accordéons, des violoncelles, des saxophones, des flûtes… Globalement, c’est un bon panel. On remarque que les percussions ne sont pas si faciles en extérieur. Chez les oiseaux, elles déclenchent des cris d’alarme, pas des chants. Notre art, c’est aussi de faire chanter les oiseaux. Quand on fait des spectacles en extérieur, on veut que les oiseaux chantent avec nous qui chantons avec les musiciens. Quand il y a ce dialogue à trois, j’ai l’impression d’être au sommet de mon art. C’est ce que nous recherchons. Il y aussi la question de la fragilité des instruments. S’il y a un violon qui vaut un million d’euros et que le temps est pourri, on ne peut pas jouer. Certains instruments, au contraire, sont tout terrain. Le saxophone en fait partie. Il a été créé pour les champs de bataille. Demain, on joue à Ermenonville, dans l’Oise, avec un quatuor de saxophones, on ne craint rien. S’il pleut, on s’en fout. Pour l’organisateur, c’est beaucoup plus simple. On aime toutes les sonorités. Tout est génial. Il suffit de travailler et de chercher comment l’instrument peut dialoguer avec un oiseau. Le hautbois ou la clarinette, c’est magnifique mais ce n’est pas recommandé pour une déambulation où l’hygrométrie n’est pas idéale. L’ébène peut se fendre en deux sur un spectacle. Ça, on l’a appris à nos débuts. On a essayé, on a tenté mais on a compris que chaque lieu va avec un type d’instrument. Il y a aussi une dimension humaine. Comme nous sommes un peu incongrus, dans le domaine musical, tout le monde n’est pas capable de jouer le jeu. Jouer avec nous demande du travail. Il faut être un peu « dé-classiqué » pour oser nous rejoindre. On a une grande fidélité. On aime travailler avec les gens qui nous accompagnent et qui nous portent. »

Photos : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web des Chanteurs d'oiseaux
La tournée d'automne :
28 septembre 2025 - « Syrinx » - Théâtre des 3 chênes - Loiron Ruillé (53)
3 octobre 2025 - « Perchés! » - Centre Simone Signoret - Canéjean (33)
5 octobre 2025 - « Jardin aux Oiseaux » - Forêt Communale de Cran Gevrier (Théâtre des Collines) - Annecy (74)
7 octobre 2025 - « Le Voyage de Darwin » - Théâtre Christian Liger - Nîmes (30)
18 octobre 2025 - « Philomèle » - Chapelle de Ronchamp- Ronchamp (70)
19 octobre 2025 - « Syrinx » - Heidelberg - Allemagne
14 novembre 2025 - « Perchés! » - Espace Culturel Escale - Saint Genis Les Ollières (69)
27 novembre 2025 - « Perchés! » - Théâtre Les Docks - Corbie (80)
12 décembre 2025 - « Perchés! » - Le Chevalet - Noyon (60)

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