Mushi Tattoo : le son animal sur la peau

Faire signe, tel est le métier d’Elodie Cretin. Et ses signes font sens ! Au sein de son cabinet de tatouage, Mushi Tattoo, Elodie s’est spécialisée dans la réinvention de signatures sonores animales. Elle les repère dans la forêt de signes qu’est un spectogramme d’audionaturaliste ou de bioacousticien, les réinvente et les reproduit sur la peau de clientes et de clients sensibles à la question animale. Elle explique ici sa démarche…

Comment vous est venue l’idée de tatouages représentant des sons d’animaux ?

Elodie Cretin : « J’ai commencé à tatouer il y a presque 6 ans. Je voulais proposer des tatouages en lien avec les animaux mais je ne savais pas quoi proposer. Il y a déjà énormément de tatoueurs et de tatoueuses qui dessinent des animaux. Je ne voyais pas comment faire mieux ou plus original. Un jour, j’ai vu le documentaire L’esprit des lieux, qui présente le travail de l’audionaturaliste Marc Namblard. On le voit enregistrer des sons dans la nature et on le voit aussi rentrer chez lui et traiter ces sons à son bureau. En voyant les spectrogrammes ou les sonogrammes qu’il y avait à l’écran, j’ai réalisé que c’était hyper intéressant d’un point de vue graphique. J’ai aussi été fascinée par ce que ça représentait : une signature sonore propre à un individu. J’ai gardé l’idée dans un coin de ma tête et c’est en écoutant un podcast de France Culture sur des bioacousticiens qui enregistraient les chants de cétacés qu’elle m’est revenue. J’ai commencé à consulter la littérature scientifique à la recherche de spectogrammes ou de sonogrammes. Puis j’ai commencé à trouver ma voie : un graphisme en lien et en hommage aux animaux mais qui ne serait pas un dessin figuratif et qui serait original. »

La forme que vous dessinez renvoie à un extrait de spectrogramme mais elle est accompagnée d’un point bleu. A quoi correspond-il ?

Elodie Cretin : « Le spectogramme, c’est la matière dont je m’inspire. A partir de là, je vais travailler. Je vais jouer avec la symétrie, avec des superpositions, bref faire des compositions. J’ajoute un point bleu qui est une manière de faire référence à notre écosystème commun, à nous, animaux humains, et à eux, animaux non-humains, qui est tout simplement la planète Terre. Parfois, les gens ne veulent pas de ce point ou le veulent d’une autre couleur. Je m’adapte. »

Quel rapport se crée entre la personne tatouée, le tatouage et l’animal ?

Elodie Cretin : « Parfois, c’est moi qui propose des dessins, réalisés à partir d’animaux qui m’inspirent et autour desquels j’ai envie de travailler. Les gens choisissent et m’expliquent pourquoi ils sont attachés à cet animal-là. Ou alors les gens me contactent et me disent qu’ils veulent un tatouage inspiré de tel ou tel animal. C’est alors à moi de faire des recherches. Parfois, ce sont des animaux que je ne connais pas. Je découvre de nouvelles espèces. En tout cas, ni eux ni moi ne savons à l’avance à quoi ça va ressembler. C’est toujours une surprise. C’est pour ça que j’aime beaucoup ce travail. Il se peut que le dessin ne plaise pas (c’est arrivé une ou deux fois) et on abandonne le projet. Les raisons pour lesquelles les gens choisissent un animal sont multiples. Certains animaux sont assez emblématiques de notre culture : la baleine, la chouette, l’ours, l’aigle, le lynx, le loup… Ce sont des animaux totems qui véhiculent des symboles. Mais on me demande aussi des animaux du quotidien : on m’a demandé par exemple les grenouilles du fond du jardin, le blaireau, le lérot, le moineau… C’est lié à des histoires très personnelles, qui rappellent un souvenir d’enfance ou un moment de vie, ou tout simplement à la célébration de la beauté la plus banale, de ces animaux si proches de nous qu’on ne les écoute plus. Enfin, ça peut être des animaux très spécifiques. Des gens qui travaillent dans le milieu de la biologie, de l’écologie ou de l’environnement qui me demandent un Plongeon huard ou un Harfang des neiges, parce qu’ils ont étudié cette espèce ou qu’ils l’ont rencontrée lors d’un voyage. Il y a aussi des gens qui me demandent la signature sonore de l’animal qui partage leur vie, leur chat, leur chien. Dans certains cas, il s’agit d’un animal décédé dont ils veulent garder la trace. Ce sont toujours des moments assez intenses. Dernier cas de figure : il m’est déjà arrivé qu’on me demande un paysage sonore. Une monitrice de plongée, par exemple, m’a demandé le son d’un récif coralien. »

Vous évoquiez les animaux décédés. Notre époque est hantée par la disparition d’une partie du vivant. Le tatouage est-il une trace d’animaux menacés de disparition ?

Elodie Cretin : « C’est ce qui sous-tend et qui motive ce travail pour moi. Je souhaite sensibiliser à cet effondrement de la biodiversité, qu’on touche du doigt au travers de l’écoute des paysages sonores. On entend souvent une phrase qui dit que 50 % des sons de la nature ont disparu en 50 ans. Je pense aussi au Printemps silencieux de Rachel Carson. On est témoin, quand on ouvre les oreilles, que notre monde s’appauvrit d’un point de vue sonore. C’est le miroir de l’effondrement de la biodiversité. Je veux aussi sensibiliser à ça et, potentiellement, oui, garder la trace d’animaux qui sont en voie d’extinction. »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Mushi Tattoo
Le compte Instagram d'Elodie Cretin

A noter : grâce aux tatouages du projet "Signatures", des dons sont reversés chaque année à des associations de protection du vivant (refuges, centres de soins, associations de sensibilisation nationales ou régionales, etc...)

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