Will Menter est aujourd’hui l’un des sculpteurs sonores les plus reconnus en France. Ses œuvres sont visibles et audibles dans de nombreux centres culturels, comme, actuellement, l’abbaye de Pontigny, dans l’Yonne. Lorsque le vent s’y engouffre, elles font chanter les éléments. Avec un accent charmant, le Britannique installé en Bourgogne détaille ses dernières créations et l’ensemble de son parcours…
Quelles sculptures sonores présentez-vous à l’abbaye de Pontigny pour l’exposition « Nomade Land » ?
Will Menter : « Il y a trois pièces : deux qui existaient déjà et une nouvelle. Celles qui existaient déjà sont des pièces d’extérieur, désormais placées dans le parc de l’abbaye, un très beau lieu. Un champ sonore du possible avait d’abord été créé en 2019 pour l’abbaye de Jumièges, en Normandie. Cette pièce est constituée d’environ 200 bouts de bois accordés, accrochés à une structure en chêne. Elle fait à peu près 20 mètres de longueur. Elle sonne grâce au vent ou grâce aux actions du public. Son son est assez doux, parce que toute les pièces sont accordées en fonction d’une gamme pentatonique. Samedi, quand je l’ai présentée au public, il y avait un petit peu de vent. On a pu apprécier le son sans intervention, puis j’ai dit aux visiteurs qu’ils étaient libres d’en jouer eux aussi. Parfois, les sons sont différents quand le public joue. Comme presque toutes mes œuvres, elle est conçue pour que le public s’en empare, s’il le souhaite. On n’a pas besoin de formation musicale, on explore les sons possibles. »
Et les autres pièces, justement ?
Will Menter : « La deuxième s’appelle Litholigne. Elle est constituée d’une cinquantaine de pierres plates calcaires de Bourgogne. Leur surface est assez rugueuse. Elles sont placées sur un chemin à la forme serpentine, fait de demi-tronçons de sapin Douglas. Le public joue de cette sculpture avec des perches en bois. La pièce fait aussi à peu près 20 mètres de longueur. La troisième a été conçue pour l’intérieur. Elle est située dans une salle qui s’appelle « les convers », une salle voûtée, très belle, avec une résonance adaptée à ce genre de projet. Elle s’appelle La conférence des ardoises. C’est une structure en acier à laquelle sont suspendus 6 petits instruments. Chacun est fait de 2 ardoises. Comme elles sont à 3 mètres de hauteur, on ne peut pas les toucher mais il y a un système de ficelles liées à de petits maillets. On peut en jouer seul mais on peut aussi créer un petit ensemble impromptu. C’est une idée que j’avais en tête depuis un petit moment et, quand l’occasion d’exposer à l’abbaye de Pontigny s’est présentée, je me suis dit que ce serait parfait. Comme il n’y a pas de vent, le son est moins aléatoire. Les binômes d’ardoises sont accordés. Il y a un intervalle précis entre elles. Cela fait « Din Don Din Don Din Din Din Din », avec beaucoup de tierces et de quartes. D’une certaine façon, on pourrait dire que c’est une composition, parce que les séquences mélodiques sont très limitées. »
Vous travaillez avec des matériaux bruts : des bouts de bois, de l’ardoise… Est-ce une façon de rappeler les origines de la musique ?
Will Menter : « Oui, exactement. J’aime l’idée que ces sons existent depuis très longtemps. J’aime aussi l’idée que c’est presque – presque ! – la nature qui joue. Evidemment, on ne connaît pas les origines de la musique que nous jouons mais on imagine aisément que des gens, il y a très longtemps, ont pris du plaisir à écouter le bruit du bois ou des pierres, des sons très basiques, très doux. Ils ont peut-être inventé des mélodies et des rythmes. Moi, je fais de la musique contemporaine mais j’emprunte un chemin alternatif, un chemin très conscient des éléments et des sons de la nature. Chaque personne peut créer de la musique par l’écoute. Si on se calme, qu’on arrête ce qu’on fait et qu’on écoute, on invente de la musique. C’est une question de perception. Certains sons sont déjà considérés comme de la musique, d’autres non. On écoute les chants d’oiseaux de la même façon : ce n’est pas de la musique humaine mais, tout de même, avec une sensibilité humaine, on y perçoit des qualités musicales. L’eau qui court dans un ruisseau, le vent dans les feuilles d’un arbre… La frontière entre les sons humains et les sons de la nature m’intrigue. C’est la question centrale de mon travail. »

Comment en êtes-vous venu à cette forme d’art ? Par la musique ou par la sculpture ?
Will Menter : « Par la musique ! Adolescent, je me suis passionné pour le jazz contemporain de l’époque, les années 60 et 70. C’était il y a très longtemps : aujourd’hui, j’ai 70 ans ! J’ai appris à jouer du saxophone (j’en joue toujours). C’est le free jazz et la musique improvisée de ces années-là qui m’ont ouvert à tous les sons, pas exclusivement les sons des instruments de musique. Je dois remercier les musiciens américains de l’époque mais aussi le mouvement européen d’improvisation libre, ainsi que John Cage et les autres défenseurs d’une musique contemporaine assez aléatoire. Parallèlement, j’ai toujours habité à la campagne, j’ai toujours apprécié les sons de la nature et j’ai toujours aimé fabriquer des objets. Petit à petit, j’ai intégré toutes ces influences dans mes activités. J’ai commencé par fabriquer des instruments de musique inspirés ceux de l’Afrique : les sanzas, les marimbas… Dans les années 80, j’ai eu le droit à une résidence d’artiste dans une région du Pays de Galles pleine de carrières d’ardoise. J’ai découvert à ce moment-là le son de l’ardoise. Le premier objet que j’ai créé avec cet matériau était une adaptation de mes marimbas. J’ai vite compris qu’on pouvait faire à peu près la même chose avec des plaques d’ardoises. C’est très musical. J’ai dû utiliser des tubes en plastique comme caisses de résonance parce qu’il n’y a pas de calebasses au Pays de Galles. J’ai aussi expérimenté le métal ou la céramique. C’est à partir du moment où je suis arrivé en France, en 1998, que la dimension sculpturale est devenue le centre de mon travail. J’y ai trouvé plus d’opportunités d’exposer dans des lieux intéressants. Mon travail a beaucoup évolué depuis. »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Will Menter
Le site web de l'abbaye de Pontigny