L’eau, la terre, le feu et l’air… L’antiquité grecque associait chaque élément naturel à l’un de ces quatre éléments, qui ont durablement marqué la pensée occidentale (l’Asie, elle, compte 5 éléments). En 1961, ils inspiraient à Marvel Comics la première équipe de super-héros. En 2025, ils inspirent à Awa Ly un disque merveilleusement équilibré. D’une voix apaisante, la chanteuse d’origine sénégalaise exalte la splendeur et la puissance de la nature le long de 12 titres (soit 4 cycles de 3 chansons) particulièrement harmonieux. Ses explications…
Pourquoi avez-vous choisi d’organiser votre nouvel album autour des éléments ?
Awa Ly : « Je ne sais pas si on peut parler de choix. Ce projet ne s’est pas non plus imposé, c’est entre les deux. En général, je ne pense pas « Je vais écrire sur tel ou tel sujet ». J’ai l’impression que les textes et les mélodies des chansons se baladent dans l’ether et qu’un mot ou une situation déclenche le processus de création. J’ai commencé à écrire ces textes vers 2020, quand j’étais sur l’île d’Alicudi. C’est une île où je vais depuis 2015. J’y avais déjà travaillé sur les chansons de mon précédent album, Safe and sound. Au fur et à mesure que le voyais les nouveaux textes, je remarquais ce point commun : ils parlaient énormément de nature, la nature humaine mais aussi la nature qui nous entoure et dont nous sommes partie intégrante (même si on a l’impression qu’il y a une séparation, ce n’est qu’une illusion). C’est comme quand vous prenez plein de photos puis que vous vous décidez à faire des albums, vous triez. C’est à ce moment-là que les éléments sont apparus et que j’ai vu le plan du nouvel album. »
Vous commencez l’album par une invocation à Gaïa. Comment la voyez-vous ? Comme une sorte de déesse secrète ? De mère ?
Awa Ly : « Oui, j’aime beaucoup appeler notre planète « la terre-mère ». O Gaïa fait bien sûr référence à la déesse mais, plus que le divin, c’est le rapport à notre planète qui m’intéresse. Je la trouve magnifique, miraculeuse… Les mots ne sont pas assez forts pour la décrire. Sur cette planète, nous sommes tous de passage. Elle nous est prêtée. On l’oublie : l’activité humaine ne peut pas être séparée de son vaisseau. On est sur une boule qui tourne à je ne sais quelle vitesse autour d’un soleil, qui tourne lui-même dans une galaxie. Si ce n’est pas un vaisseau spatial, je ne sais pas ce qu’il faut aux scénaristes de science-fiction. Cette planète, je la trouve belle. Qu’on soit là ou pas a peu d’importance pour elle. C’est l’humanité qu’il faut qu’on questionne et qu’on change un peu, même beaucoup. »
Vous ne vous intéressez pas au divin mais cet album regorge tout de même de spiritualité…
Awa Ly : « Oui ! Ça n’a rien à voir avec les religions mais, effectivement, la spiritualité est, je pense, la base de cet album. C’est une introspection, un voyage initiatique, qui se fait en différentes étapes et dont les éléments sont les guides (et il est 11h11 quand je dis ça) (rires)… Je parle d’une introspection individuelle : apprendre à se connaître (si on y arrive en une vie) ou, en tout cas, avoir l’impression de comprendre qui on est, saisir son essence (d’où le titre), pas juste le personnage qu’on incarne : femme, noire, grande, petite, chanteuse ou autre… En se livrant à ce genre de questionnement, même sans avoir toutes les réponses, on se rapproche du monde qui nous entoure. »
Chaque élément est habillé par une réalisatrice ou un réalisateur différent, qui apporte des atmosphères différentes. Comment les avez-vous choisis ?
Awa Ly : « Là aussi, ce n’est pas moi qui me suis dit « Ah, je vais demander à telle ou telle personne », ce sont des rencontres et des discussions qui ont amené ces collaborations. Je connaissais tous ces musiciens, sauf Hannah V., qui s’occupe de l’air. Je suis allée rejoindre une amie, Aïssa Maiga, en Afrique du Sud, à Capetown. Une autre amie, Emel Mathlouthi, qui est une superbe chanteuse, m’a conseillé de rencontrer une musicienne qui était là-bas, qui avait travaillé sur la production de son album. C’était Hannah V.. Je n’avais pas l’intention de lui proposer de s’occuper de l’air mais, en parlant avec elle autour d’une bonne tisane, je lui ai tout d’un coup dit « Est-ce que je peux t’envoyer des maquettes de mon nouveau projet ? ». Il était soudain évident qu’Hannah devait faire l’air. C’était en mars ou en avril 2023 et, en décembre 2023, j’enregistrais avec elle à Londres. Avec Hannah, tout a été très rapide. Ça a pris un peu plus de temps avec Nicolas Repac, que je connaissais déjà puisqu’il travaille avec Arthur H, avec lequel j’ai déjà collaboré. Lossapardo, à la base, je le voyais surtout comme un peintre. J’aime beaucoup son art, il me touche énormément. Je l’avais contacté pour ça mais, au fur et à mesure qu’on parlait, il m’a dit qu’il était musicien aussi. Il m’a fait écouter ses créations et il m’a paru évident qu’il devait s’occuper de l’eau. Il me manque le feu : Léonie Pernet ! Là aussi, c’est Emel Mathlouthi, qui m’avait invité à chanter à Toulouse, au festival Rio Loco, qui me l’a présentée. On s’est super bien entendu. Quand j’ai pensé au feu, Léonie a surgi dans mon esprit. On est allé manger une crêpe ensemble, à Simplon, pas très loin de son studio, et on a commencé à échanger des maquettes. Je suis venue dans son studio avec mes koshis. Ce sont des instruments très utilisés en sonothérapie et en musicothérapie, des carillons fabriqués dans les Pyrénées. Il y en a un pour chaque élément. Je les utilisais déjà avant de commencer à travailler sur cet album. Ils induisent de beaux moments de calme, de relax et de méditation… »
Puisqu’on parle de calme… En ces temps de canicule et d’inondations, les questions environnementales peuvent créer de l’anxiété. Avez-vous voulu prendre cette anxiété à contre-pied avec ce disque qui célèbre la puissance des éléments avec beaucoup de douceur ?
Awa Ly : « C’est un bon résumé. Il y a des urgences, bien sûr, des problèmes auxquels il faut pallier, de manière assez vive. Il faut être dans l’action mais avec une certaine forme de douceur, sans ajouter de violence à la violence. Ce serait jouer le jeu du système qui nous est imposé par la force. Je ne suis pas Gandhi mais je crois qu’il faut chercher une certaine forme d’équilibre entre force et douceur. On est ici pour apprendre ça : l’équilibre. On ne peut pas retourner à l’âge de pierre mais l’objectif est de vivre de façon plus équilibrée, plus sobre. Ça n’arrivera pas du jour au lendemain, surtout là où on en est, mais j’ai l’impression qu’il y a un mouvement en ce sens. Quand je parle de sobriété, c’est aussi au niveau du rythme de vie. On est dans une société qui fait tout pour qu’on n’ait pas le temps de prendre soin de soi. Elle nous fait courir tout le temps, à droite, à gauche, pour avoir l’argent pour acheter le dernier truc. C’est fou ! Il y a tout un travail à faire. Je sais qu’il est commencé mais qu’il va prendre du temps. La nature le montre bien : on ne plante pas une graine pour récolter des fruits le lendemain. Changer demande du temps, ça demande aussi une vision à long terme. Cette vision, c’est ici et maintenant qu’elle naît. Je prône le respect de notre rythme, en douceur, le respect du rythme de notre planète, le retour à une certaine forme de sobriété. Je me dis qu’on trouvera des solutions. Sinon, pourquoi serions-nous là ? A quoi ça servirait ? »
Photo de têtière : François Mauger