Cet été, Neil Young parle aux arbres. A quelques mois de ses 80 ans, le Canado-Californien publie Talkin to the Trees, l’une de ses plus belles moissons de chansons depuis longtemps. Il y est accompagné par les Chrome Hearts, constitués de musiciens de générations différentes, comme Micah Nelson, le fils de Willie Nelson, déjà présent sur The Monsanto Years (2015), ou le légendaire Spooner Oldham, l’organiste de la Muscle Shoals Rhythm Section (c’est, par exemple, lui qu’on entend sur When a man loves a woman de Percy Sledge). Il y chante la beauté des voyages à travers l’Amérique (Silver Eagle), s’indigne de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche (Big change), se paie au passage Elon Musk (« If you’re a fascist get a Tesla ») et philosophe (« Je parle aux arbres, en attendant des réponses / J’attends que le monde change »)…
A part quelques références aux – souvent regrettables (à son avis) – mutations de ces dernières années, à l’image des couplets à propos des voitures électriques (Let’s roll again), ce nouveau disque pourrait faire partie de la riche série d’inédits des années 70. Ses multiples citations de This land is your land de Woody Guthrie et ses allusions à Bob Dylan fleurent en tout cas bon la fidélité aux idéaux du passé.
Transition toute trouvée pour parler d’un disque anglais paru au cours de la décennie du psychédélisme et du disco, du pacifisme et des « pattes d’eph » (au moins pendant sa première moitié, avant la crise et le tournant punk de 1977). En 1974, donc, le Manfred Mann’s Earth Band publiait The good Earth. Le groupe s’était agrégé au début des années 70 autour de Manfred Sepse Lubowitz, un joueur de claviers né à Johannesburg mais installé au Royaume-Uni depuis 1961. Avec Mick Rogers, à la guitare et au chant, Chris Slade à la batterie et Colin Pattenden à la basse, ils avaient déjà fait sortir 4 disques de rock progressif, emplis de reprises (Bob Dylan, Bruce Springsteen, Randy Newman…) et de références à la musique classique (Franz Schubert, Gustav Holst, Igor Stravinski…).

The good Earth reste dans cette veine : les morceaux s’étirent longuement, enchaînant brèves parties chantées et amples soli instrumentaux. La première face s’ouvre sur le chant du coq, avant que ne démarre Give Me the Good Earth, une reprise de l’Etats-Unien Gary Wright qui s’appuie sur un riff de guitare incisif pour évoluer pendant plus de 8 minutes, se détachant du thème initial pour mieux y revenir. La seconde face multiplie les références aux éléments : Earth Hymn, Sky high, Earth Hymn Part 2…

Mais si on parle de cet album ici, c’est surtout pour la promesse qu’il affichait alors : toute personne qui achetait le disque acquérait en même temps un petit bout de terrain (un pied carré) dans le village de Llanerchyrfa au Pays de Galle. La démarche à accomplir pour en devenir propriétaire était expliquée au dos de la pochette. Qu’est devenu le terrain ? Est-il encore occupé par une communauté d’hippies décatis ? La démarche rappelle celle, plus contemporaine, du Wonderfruit Festival, en Thaïlande, qui finance par ses activités l’achat de terrains en bordure du Gunung Leuser National Park, au nord de l’île de Sumatra, dans l’espoir que des orangs-outans puissent y trouver refuge. Le Pays de Galles étant plus proche, il serait enrichissant d’aller y voir ce qu’est devenu la colline de Llanerchyrfa. Acheter l’album d’occasion a, en revanche, bien moins d’intérêt : une vignette sur la couverture stipule que l’opération n’est valable que jusqu’en décembre 1975.

Photo de têtière : François Mauger