Biosphere, du Kentucky au cercle polaire

Lorsque, après un court passage dans le groupe Bel Canto, le Norvégien Geir Jenssen s’est lancé en solitaire sur les traces de Brian Eno, dans le vaste champ de l’ambient, il s’est choisi le nom de « Biosphere ». C’était le tout début des années 1990. Dans l’Arizona, on construisait un immense dôme baptisé « Biosphere II », sous lequel des hommes et des femmes devaient recréer un écosystème autonome. Geir Jenssen, lui, menait des expériences d’un autre type dans son studio, contribuant, parallèlement à The Orb ou Alphex Twin, à offrir un nouveau souffle aux musiques atmosphériques imaginées dès les années 1970. Mais, contrairement à la plupart de ses confrères d’alors, Jenssen manifestait un intérêt sincère pour ce qu’il se passait en dehors de son studio ou des « chill out rooms » où l’ambient était diffusée en fin de nuit : il travaillait à partir d’enregistrements de terrain réalisés au Tibet (Cho Oyu 8201m, 2006) et sur une île volcanique de Sicile (Stromboli, 2012) ou se désolait des projets nucléaires japonais (N-Plants, 2011).

35 ans après ses débuts sous ce nom, Biosphere publie cet été un album inspiré du roman The Time Of Man, publié en 1926 par la poétesse Elizabeth Madox Roberts. Il utilise pour cela une adaptation radiophonique de 1951, dite par la comédienne hollywoodienne Joan Lorring. La distance peut paraître infinie entre le Kentucky rural du début du XXe siècle où se débat Ellen Chesser, l’ouvrière agricole itinérante héroïne du roman, et le studio climatisé où travaille Biosphere, à Tromsø, au nord de l’Europe. Mais le musicien ne retient du récit que les moments de trouble face à la nature. « Je me demande quelle est la profondeur du ciel » dit Joan Lorring sur All stars have names ; ailleurs, elle s’interroge « Existe-t-il un temps des pierres et des rochers, comme il existe un temps de l’homme ? ». La poésie métaphysique d’Elizabeth Madox Roberts fait merveille dans l’univers de Biosphere. En apparence très simple, d’une grande unité de ton, la musique semble conçue pour la contemplation. L’auditeur est invité à tourner les yeux vers le ciel, en quête de réponses à ses questions. A un moment pourtant, le rythme accélère et le regard revient sur terre. Parmi les bruits de la nuit (quelques grillons, le bruissement de feuilles), le personnage entend « un son solitaire », « comme la fin du monde » et demande à son compagnon s’il redoute la fin du monde. La réponse n’est probablement pas la même en 2025 qu’un siècle plus tôt. Biosphere, qui vit au nord du cercle polaire arctique, observe chaque jour les glaces reculer dans sa région natale et se doute bien que personne ne fera rien pour qu’elles reviennent, bien au contraire. Sa perplexité et ses questionnements habitent tout le disque…

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
La page Bandcamp de Biosphere

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