En Bretagne, les rivières aériennes de Jean-Luc Thomas

Dis-moi où tu habites, je te dirai comment tu vis… Jean-Luc Thomas vit à Vieux Marché dans les Côtes-d’Armor, entre le Centre de découverte du son de Cavan, un parc de loisirs centré sur l’audition, et la chapelle des Sept-Saints, rare lieu de pèlerinage commun aux chrétiens et aux musulmans.

D’un côté, l’écoute, de l’autre, le dialogue… Voilà un panorama qui correspond à merveille à ce flûtiste cosmopolite, adepte des collaborations aux longs cours avec des artistes aussi divers que le percussionniste irlandais David Hopkins, le chanteur nigérien Yacouba Moumouni ou la troupe du cirque équestre Zingaro.

Mais, à Vieux Marché, Jean-Luc Thomas ne se contente pas d’écouter et de dialoguer, il agit. D’une conversation en temps de confinement avec Jean-Frédéric Noa, le directeur artistique de la compagnie de marionnettes voisine, Via Cané, est né un nouveau projet culturel local baptisé « les rivières aériennes ». « C’est un hommage aux rivières volantes qu’on trouve en Amérique du Sud, ces gigantesques masses humides qui partent de l’équateur, qui se chargent d’eau au-dessus de l’Amazonie, grâce à la transpiration de la forêt, puis qui butent contre la cordillère des Andes et font une espèce de boucle qui les amène jusqu’à São Paulo et même Iguazu » explique le flûtiste. « J’ai beaucoup bossé avec des Brésiliens. On a beaucoup parlé de la nature, de l’Amazonie, des peuples premiers et de ce phénomène. Avec Jean-Frédéric Noa, on a parlé des actions culturelles de proximité que je mène en Bretagne et même ailleurs, puisque je suis associé aux fifres de Garonne. Je trouve ça génial d’aller jouer dans des granges, d’aller jouer dans des chemins creux… On s’est dit « Pourquoi ne pas faire un événement local en commun ? ». Il s’est avéré qu’on avait plein d’idées convergentes, dont celle de la rivière aérienne : « Et si nous, à notre niveau, on faisait partir de Plouaret une évaporation poétique, comme du pollen, qui irait très modestement de l’autre côté du talus, dans les communes limitrophes ? ». »

Ainsi ont commencé à couler les rivières aériennes… La troisième édition aura lieu les 15 et 16 juin 2024 et elle aura pour thématique l’eau. « Le Vieux Marché se trouve sur les rives du Léguer, la rivière qui débouche à Lannion » se justifie Jean-Luc Thomas. « Elle bénéficie du classement « rivière sauvage », notamment grâce à sa population de loutres et de saumons, mais elle a été amochée dans le passé. Elle a vécu des épisodes de pollution abominables. Elle s’en est relevée grâce à une mobilisation locale très forte de tous : agriculteurs, pêcheurs, riverains, politiques, randonneurs… ».

Quatre structures – Hirundo Rustica, la compagnie de Jean-Luc Thomas, Via Cané, Liratouva, une association qui pousse les plus jeunes à lire, et Idéographik, plus centrée sur la question du handicap – se sont réunies autour de cette rivière terrienne, pour imaginer une sorte de festival en mouvement, écologiste et porté à 99 % par des acteurs locaux. Seul Charles Quimbert, l’ancien directeur de Dastum, le principal groupement de collectage du patrimoine oral breton, fera plus de 50 kilomètres pour y participer. Les autres intervenants vivent dans les villes et villages environnants.

La préparation a déjà commencé, avec des ateliers origamis à l’école élémentaire et à l’Ehpad. L’après-midi du samedi 15 juin sera également bien occupée : visite de la station d’épuration, dégustation d’eau, promenade au bord du Léguer, écoute attentive, les yeux bandés, de sa chanson, cueillette avec un herboriste, exposition photo sur les rives, rencontre avec un spécialiste de la biodiversité pour parler des loutres et des saumons (« Toute la bagarre autour du Léguer consiste à faire remonter les saumons » précise Jean-Luc Thomas. « Autrefois, ils venaient frayer très très haut, signe d’une bonne qualité d’eau. Là, cette année, les observateurs n’en ont vu qu’un. C’est plutôt inquiétant. »)

La veillée aura lieu au centre du bourg, autour de la fabrication d’une soupe. C’est là qu’interviendra Charles Quimbert, mais aussi Pierre-Henri Gouyon, un jeune retraité du Museum d’Histoire Naturelle, qui va détailler les péripéties d’une molécule d’eau tandis que Jean-Luc Thomas l’accompagnera à la flûte. Deux militants de l’association Eau & Rivière liront des poèmes d’Angela Duval, la muse de Gilles Servat dans les années 1970. La soirée se terminera pas la projection du Bouton de nacre de Patricio Guzmán.

Peu après le réveil, aura lieu l’inauguration du plan d’eau que la commune de Vieux Marché a réhabilité en plein bourg, suivie d’une déambulation vers le Saint-Eturien, un affluent du Léguer. Après le pique-nique, une balade en compagnie d’un botaniste mènera d’étape en étape vers Camille Aubray, une violoniste baroque, proche des Musiciens de Saint-Julien, Florian Bellec, un élagueur spécialiste des percussions persanes (zarb, riq et daf), ou le contrebassiste Cyrille Le Penven. Le tout, sans scène ni sono, avec des navettes pour les personnes à mobilité réduite, et toujours la chanson de la rivière dans les oreilles.

Des concerts au bord de l’eau, de la poésie à l’heure de la soupe, de la science en dessert, du vivant à chaque instant, une participation de toutes et de tous… Pourquoi serait-ce impossible ailleurs ? Il faudrait demander à Jean-Luc Thomas. Mille rivières aériennes pourraient, en toute humilité, survoler la France…

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Jean-Luc Thomas
La page du site web de Via Cané dédié aux Rivières aériennes

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