Keryda : « La musique des plantes rapproche les gens de la nature »

L’été, les festivals poussent dru, au point de former une petite jungle. On y perd vite de vue les événements les plus intimistes, comme le festival international de la musique des plantes, qui se tient chaque mois d’août dans le jardin botanique du château de Gaujacq, au cœur des Landes. Pourtant, les concerts végétaux qui s’y déroulent sont à proprement parler exceptionnels. Sara et Damien, les deux moitiés du duo Keryda, évoquent ici leur rencontre avec les animateurs du festival, qui a précédé des dizaines d’autres connexions fertiles…

Comment l’aventure de la musique des plantes a-t-elle commencé pour vous ?

Sara : « Notre première rencontre avec la musique des plantes, c’était à Marciac, au festival de jazz, en 2018. Il y avait une présentation de la musique des plantes par Jean Thoby, Ernst Zürcher et Frédérique Thoby. Ça nous a parlé parce qu’on travaillait déjà depuis plusieurs années sur un projet inspiré par les fleurs, lié à des photos macro. On a rencontré Jean Thoby, on a apprécié leur conférence, on leur a offert notre CD, et, là, ce sont Jean et Frédérique Thoby qui nous rappellent quelques mois plus tard et qui nous disent « On a écouté votre CD ; avec votre sensibilité, vous devez essayer de jouer avec les plantes. Venez à Gaujacq, nous vous invitons à la pépinière pour improviser avec les plantes ». Ça a été magique. Les premières fois où on a joué avec les plantes ont été des expériences incroyables. C’était pour nous une terre inconnue. On était à l’écoute de la plante et on se rendait compte que la plante était aussi à l’écoute de ce qu’on faisait. On était surpris : les plantes répondaient rythmiquement et harmoniquement à nos propositions. »  

Depuis, quelle plante est votre partenaire la plus fidèle ?

Damien : « On a beaucoup travaillé l’hiver dernier avec une fougère du Donnegal (le nord de l’Irlande). Elle nous a suivis, elle aime voyager. Elle s’adapte à tout. »

Sara : « Certaines plantes aiment moins voyager ou ne s’adaptent pas à toutes les situations. La fougère, elle, est toujours partante pour jouer ou pour faire de nouvelles expériences. On a également beaucoup travaillé avec un tabac rustique (Nicotiana rustica), qui, à chaque concert, touche profondément les gens. A un moment donné, dans notre parcours, à l’automne 2021, on a fait une résidence et on a travaillé avec 4 plantes qui nous ont beaucoup inspiré : l’aloe vera, la lavande, la sauge et la fameuse fougère. »

Comment se déroule le dialogue musical avec la plante ? Où branchez-vous les électrodes ?

Sara : « On pose une pince au niveau de la feuille et une tige en cuivre au niveau des racines. On joue souvent avec des plantes en pot mais ça arrive aussi en pleine nature. »

Damien : « On écoute la plante et elle devient notre source d’inspiration. »

Sara : « Il y a vraiment une différence entre les espèces de plantes, ainsi qu’une différence selon l’environnement. S’il y a du public, s’il y a des animaux, s’il pleut dehors, l’activité électrique change. »

Damien : « On a remarqué qu’à force de jouer avec les 4 ou 5 plantes qu’on balade, on développe de plus en plus d’échanges concrets. »

Sara : « C’est comme si, dès qu’on commence à jouer avec elle, la plante se disait « Ah, on va faire ce dialogue qu’on a déjà fait ensemble », comme si elles avaient reconnu cet échange musical… Dès qu’on lance la rythmique, elles se calent dessus, en totale synchronicité. Pas comme un musicien qui joue un accord auquel un autre musicien répond ; là, les plantes peuvent être totalement synchrones : au moment même où on joue une note, la plante la joue avec nous. C’est intéressant. »   

La plante n’a-t-elle pas tendance à jouer toujours les mêmes notes ?

Sara : « En fait, ce sont des façons de s’exprimer. On ne peut pas dire que la fougère produit toujours la même mélodie. Elle crée des suites de notes différentes mais il y a une signature vibratoire, une empreinte pour chaque espèce. »

Damien : « Il faut apprendre à les écouter. Au début, quand on ne connaît pas leur langage, on se dit que c’est toujours la même chose. »

Sara : « C’est comme un nouveau langage. Quand on arrive dans un pays, on a l’impression que tous les mots se ressemblent. En fait, plus on écoute, mieux on entend. »   

Vous revenez au festival de Gaujacq, où vous avez déjà joué l’année dernière. Est-ce que cette fidélité n’est pas également le signe que peu d’artistes jouent de la musique des plantes ? Que tout cela est encore trop confidentiel ?

Sara : « Ça commence à vraiment s’ouvrir. Il y a de plus en plus de musiciens qui jouent de la musique des plantes, en France comme à l’étranger. C’est parti de l’Italie. L’ingénieur qui a créé le boitier fait partie d’une communauté où plusieurs musiciens jouent avec les plantes. On trouve des musiciens qui pratiquent la musique des plantes en Espagne, en Amérique Latine, aux Etats-Unis… Au festival de Gaujacq, on a parfois des visioconférences avec des gens qui sont vraiment loin et, chaque année, on reçoit au moins un nouveau musicien. Mais, si on prend du recul, il est sûr que c’est un phénomène très frais, très nouveau, qui se développe… Quand on joue la musique des plantes, les gens sont tellement touchés ! Ils voient les plantes différemment. Ils ne regardent plus jamais leurs plantes de la même façon. Ça leur va droit au cœur. C’est une très belle manière de rapprocher les gens de la nature.»    

Vous préparez un nouvel album. Quelle forme prendra-t-il ?

Sara : « Notre souhait est de retracer notre chemin avec la musique des plantes depuis 5 ans, en amenant en studio les différentes plantes avec lesquelles nous avons pris l’habitude de jouer mais en réservant aussi quelques morceaux aux arbres. Ce sera un voyage à travers les différentes expériences qu’on a pu avoir ces 5 dernières années. Le processus d’enregistrement est assez particulier. Vu que c’est vraiment la musique de l’instant et du moment, chaque prise est unique. Même si on a beaucoup répété avec certaines plantes, tout peut être subtilement différent d’une prise à l’autre. Nos pensées, nos humeurs, tout influence la musique des plantes. La plante capte tout dans son environnement. Dès qu’il s’y passe quelque chose, même en dehors du studio, elle le capte et ça s’entend dans la musique. C’est un phénomène naturel, et nous nous adaptons au vivant ! Jouer avec la musique des plantes c’est rester axé, centré, décontracté, ouvert et tout se passe bien !»

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web du festival international de la musique des plantes

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