Luzmila Carpio : «  Mes mélodies sont un appel à honorer la terre qui nous nourrit »

De 2006 à 2010, Luzmila Carpio a été l’ambassadrice de Bolivie en France, un rôle pour lequel elle semblait s’être préparée toute sa vie, elle qui, depuis son plus jeune âge, incarne pour le public des grandes villes la culture des petites communautés indigènes des Andes. Sur son nouvel album, Inti Watana – El Retorno del Sol, la chanteuse se fait une nouvelle fois ambassadrice des savoirs et de la sagesse des Aymaras et des Quechuas. Elle précise ici avec une remarquable générosité le rapport qu’entretiennent ces peuples avec le cosmos…

Vous faites entendre la voix des « sans voix », les peuples indigènes des Andes…

Luzmila Carpio : « C’est un honneur et une bénédiction de pouvoir porter la voix des peuples ancestraux des Andes à travers ma musique. Au plus profond de mon cœur, je ressens cette responsabilité sacrée : je dois me faire l’écho de ceux dont les paroles et les mélodies ont été murmurées par les vents des montagnes pendant des siècles et le seront pour les siècles à venir. Depuis que je suis enfant, je me suis fixé comme objectif personnel de faire entendre de ces cultures qui vénèrent la vie. Dans chaque accord et dans chaque mot, je cherche toujours à préserver cette identité, cet héritage et ce combat.

Dans de nombreux pays, on appelle ces peuples « premiers », comme si on regardait vers l’arrière, vers le passé. Avec mes compositions, avec mon chant, je veux dire que ce sont des peuples plus vivants que jamais, c’est pourquoi je préfère parler de « peuples racines ». Car la racine est le lien vital, celui qui nous lie à la Pachamama, la Terre Mère, celui vers lequel on revient toujours. C’est ainsi que nos cultures, nos traditions, nos valeurs sont toutes entremêlées dans les chansons que j’écris et que je chante.

Au fil des années, j’ai été témoin de la marginalisation et de l’oubli qui frappent les valeurs transmises depuis des générations dans nos communautés éloignées. Nos voix ont souvent été réduites au silence par le tourbillon des temps modernes. Mais, à travers la musique, j’ai trouvé un pont entre le cœur de ceux qui nous écoutent et l’âme profonde des Andes. Et j’aimerais clarifier de quel « silence », de quel bâillonnement, nous parlons en ce nouveau millénaire : il s’agit de la réduction au silence des valeurs qui nous rappellent notre interconnexion et notre interdépendance avec nous-mêmes et avec tout notre environnement. Je crois profondément que nous devons retrouver la spiritualité et la préférer à l’ego.

Et c’est pourquoi, oui, il est de la plus haute importance pour moi d’être l’ambassadrice de ces peuples racines dont les voix se perdent. Chaque fois qu’une de mes chansons parvient aux oreilles d’auditeurs à l’autre bout du monde, je sens avec joie que je tisse un lien entre les cultures, unissant l’ancien, le contemporain et le futur. Mes mélodies sont un appel à se souvenir de nos racines, à honorer la terre qui nous nourrit et à célébrer l’essence même de ce que nous sommes : des bribes d’étoiles en quête d’harmonie et de communion.

Je m’engage avec humilité et gratitude à être toujours la porte-parole de ceux qui n’ont pas été entendus, à être la voix qui élève nos histoires et nos aspirations vers les cieux. C’est une tâche sacrée et un chemin que je continuerai à parcourir avec passion et dévouement tant que le souffle des Andes continuera de vibrer dans mon être. »

Le titre de votre nouvel album évoque le culte du soleil, qui, pour certains, est une superstition d’un autre temps…

Luzmila Carpio : « C’est justement pour ceux qui considèrent le culte du soleil comme une « superstition d’une autre époque » que j’ai écrit, après plusieurs années de voyages, de rencontres et de réflexions, les neuf compositions qui constituent mon album, Inti Watana – El Retorno del Sol.

Le soleil, cette étoile brillante et chaude qui nous donne vie et énergie, est bien plus qu’un simple objet dans le ciel. Dans nos cultures indigènes, le culte du soleil est une manifestation de notre connexion profonde avec la nature et le cosmos : c’est le rappel constant que nous faisons partie de quelque chose de plus grand, d’un cycle sans fin de renouveau et de croissance. La recherche scientifique des dernières décennies démontre la validité de cette philosophie de vie des peuples des Andes, enracinée dans des milliers d’années d’histoire et d’observation attentive de la nature, dans un profond respect de tout ce qui nous entoure.

En même temps, avec cet album, je veux rappeler que la spiritualité est avant tout quelque chose de très intime et personnel. Alors, quand je parle de reprendre la vénération du soleil, je ne parle pas de cérémonies comme celles de Tintin et le Temple du Soleil. Je cherche plutôt à montrer l’importance vitale pour nous de retrouver l’autre soleil, ce soleil intérieur qui fait battre notre cœur, qui y fait naître, dans cet endroit harmonieux de notre corps, la chaleur délicieuse que nous appelons « l’amour ». Et à partir de là, depuis ce petit nid d’amour, nous sortons et nous reconnectons avec les autres soleils, les autres êtres, et bien sûr avec le grand soleil, que nous appelons en quechua « Tata Inti, père soleil ».

Alors, en ces temps de changements et de défis, mes compositions sur cet album sont beaucoup plus métaphoriques. J’utilise la cérémonie préhispanique d’Inti Watana (ou d’amarrage du soleil) comme une image de l’éveil et de la reconnexion de notre soleil intérieur. Rappelons-nous que notre essence humaine et notre relation avec le soleil peuvent nous guider pour relever les défis de demain. C’est mon humble grain de sable pour aider à construire un sentiment d’unité avec la Terre et avec tous les êtres qui l’habitent. »

Cet album a donc une dimension écologique?

Luzmila Carpio : «El Retorno del Sol est un album qui cherche à renforcer notre lien écologique, en nous rappelant que nous faisons partie intégrante de la Terre et de tout ce qui l’habite. À travers la musique et les mots, j’ai cherché à transmettre un message de respect, de gratitude et d’amour pour la nature, et j’espère que chaque écoute nous incitera à prendre soin et à protéger ce beau cadeau qu’est notre planète, notre Terre Mère. Chacun des êtres qui y vivent font partie de ce beau cadeau. Malgré tout, ne nous regardons jamais négativement, nous les femmes et les hommes, regardons-nous avec amour.

El Retorno del Sol est un véritable voyage à travers des dimensions quelque peu oubliées des cultures andines. Dans chaque note et dans chaque mot, j’ai capturé le lien profond que nous, les peuples racines, partageons avec notre environnement. Dans des chansons comme La Ofrenda de los Pájaros (« L’offrande des oiseaux »), j’ai cherché à transmettre la beauté et l’harmonie que les êtres ailés apportent à nos vies, nous rappelant l’importance de prendre soin et de préserver leurs habitats.

Dans La Alegría del Gran Venado (« La joie du grand cerf »), j’ai voulu célébrer la majesté et l’énergie du règne animal, nous incitant à respecter et à coexister en harmonie avec toutes les créatures. A travers Chakana Sagrada, j’ai voulu établir un dialogue cosmique et géométrique qui nous relie aux hauteurs célestes et nous rappelle notre humble position dans le vaste univers. Du plus profond de mon être, j’ai exprimé ma gratitude à la Terre Mère, dans Pachamama desde el Cosmos. Dans cette chanson, j’ai voulu capturer la nécessité de prendre soin et de protéger notre Terre Mère, en reconnaissant que nous faisons partie d’un cycle d’interdépendances, dans lequel chaque action a un impact sur notre environnement. Ce ne sont que quelques exemples. Il y aurait beaucoup plus à dire. De nombreuses histoires se chevauchent dans chaque chanson. »

Pourquoi avoir choisi le producteur argentin Leonardo Martinelli pour cet album ? Pour toucher un nouveau public ?

Luzmila Carpio : « Tout au long de ma carrière, j’ai toujours ressenti l’envie d’emmener mes compositions et ma culture vers de nouvelles frontières musicales. J’adore explorer différents genres et styles pour donner une nouvelle vie à nos traditions, sans perdre ce qui les rend uniques. C’est un hommage à notre riche histoire et une façon de se connecter avec les nouvelles générations, de leur montrer que nos racines peuvent être en harmonie avec les courants actuels.

Chaque chanson que j’ai créée pour cet album est comme un monde en soi, une histoire qui prend vie à travers les mots et les mélodies. C’est pourquoi j’ai jugé crucial de construire un univers instrumental qui non seulement accompagne, mais également amplifie chaque texte. Chaque note, chaque instrument est soigneusement sélectionné pour transmettre le sens culturel et métaphorique de la chanson. C’est une manière de tisser un pont entre traditions ancestrales et émotions contemporaines qui permet à chaque auditeur de ressentir la profondeur de la pensée des peuples racines. C’est pourquoi il était également important pour moi que plusieurs chansons de cet album soient mixées en Dolby Atmos, afin qu’à l’écoute, on puisse se sentir au centre du récit.

L’amour et l’espoir que je porte dans mon cœur sont dirigés vers les nouvelles générations. Les jeunes sont les gardiens de l’avenir et les porteurs des valeurs qui nous relient à la vie et à la Terre Mère. J’espère qu’ils adopteront ces valeurs d’amour et de respect de la nature et qu’ils deviendront des agents du changement pour un monde meilleur. C’est pourquoi je me suis associée au talentueux producteur argentin Leonardo Martinelli pour cet album. Sa sensibilité et sa capacité à fusionner les sons électroniques avec des éléments traditionnels m’ont profondément inspirée. Ensemble, nous cherchons à créer une expérience musicale originale (certains disent « chamanique électronique »), qui touche de nouveaux publics et résonne dans le cœur de ceux qui recherchent des liens authentiques avec la musique et la culture des peuples racines. »

Image de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Luzmila Carpio

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