Parution du livre d’Antoine Freychet, « Démarches artistiques et préoccupations écologiques »

Les éditions de l’Harmattan ont publié à la toute fin de l’année 2022 un ouvrage qui fera date : Démarches artistiques et préoccupations écologiques, l’écoute dans l’écologie sonore d’Antoine Freychet. Issu d’une thèse de doctorat, ce livre paraît à titre posthume, son auteur ayant disparu pendant l’été. Si Antoine avait pu soutenir sa thèse comme prévu, la philosophe Pauline Nadrigny aurait fait partie du jury. Cette spécialiste de l’esthétique des musiques contemporaines et expérimentales explique aujourd’hui pourquoi la lecture de ce texte est importante…  

Pourquoi recommandez-vous de lire ce livre ?

Pauline Nadrigny : « Parce que c’est l’un des premiers ouvrages en langue française qui a l’ambition, tout à la fois, de faire le point sur des questions d’écologie sonore et d’inscrire ces recherches dans l’étude de pratiques artistiques particulières, le field recording, les marches d’écoute et les installations sonores. Des travaux ont été faits à ce sujet, notamment par Makis Solomos, qui était le directeur de recherche d’Antoine Freychet, ou encore Carmen Pardo Salgado, mais le travail d’Antoine est la première synthèse en langue française qui fasse réellement le point sur ce sujet, qui étudie ces pratiques de manière aussi précise et pertinente. L’ouvrage d’Antoine Freychet arrive à tenir deux enjeux : aborder les problématiques écologiques, dans leur dimension éthique et politique, et décrire avec finesse les pratiques artistiques qui s’inscrivent dans ces préoccupations, tout d’abord par leur réflexion incarnée sur l’environnement sonore, comme ambiance ou milieu acoustique. C’est également un ouvrage très bien écrit, très clair, et riche d’une expérience personnelle : celle d’un penseur qui était aussi un grand « écoutant », qui fut impliqué dans de multiples projets liés au monde sonore. D’où son souci de faire la place à de nombreuses analyse de pratiques artistiques, souvent contemporaines, en les décrivant avec beaucoup de soin. Tout en conceptualisant son objet (qu’est-ce qu’un environnement sonore ? Un milieu ? Une ambiance ? En quoi peut-on avoir une écoute soucieuse des enjeux écologiques ? Comment écoute-t-on ?) et en développant des considérations esthétiques générales sur ces pratiques. Antoine Freychet a fréquenté certains des artistes dont il parle et travaillé avec eux. Lui-même était un praticien de l’écoute et un musicien, organisant et participant à nombreux ateliers et marches sonores… Cela se retrouve dans sa manière de parler des œuvres, si bien que l’ouvrage plaira aussi bien pour ses qualités conceptuelles que pour cette adresse sensible. »

Est-ce un ouvrage qui a ouvert de nouveaux chapitres dans votre réflexion sur les relations entre nature et environnement ?

Pauline Nadrigny : « La parution de cet ouvrage, qui est la publication d’une thèse de doctorat – donc une recherche dédiée et approfondie de plusieurs années –, est bien le signe que les questions environnementales prennent une place extrêmement importantes dans les approches musicologiques aujourd’hui. Il n’y a plus de division aussi nette entre, d’une part, les acteurs du sound design, les urbanistes et les audionaturalistes et, d’autre part, le monde de la musique que pensent les musicologues. Ce qui est extrêmement intéressant et rafraîchissant dans cet ouvrage, c’est que, pour Antoine Freychet, ces deux champs communiquent de manière évidente et que la césure disciplinaire qu’on pouvait trouver jusqu’ici n’est plus vraiment opérante. Aussi croise-t-on aussi bien des tenants de l’écologie sonore que les noms de Max Neuhaus, Francisco Lopez ou Pauline Oliveros. J’apprécie aussi la manière dont il navigue entre différents types de pratique (ateliers, marches, installations, composition), ce qu’il dit sur le partage de l’expérience sonore, notamment les pages sur les promenades sonores organisées et pensées par Hildegard Westerkamp, Gilles Malatray ou Elena Biserna… Pour moi qui aborde ces pratiques depuis la philosophie de l’art et l’esthétique, le travail d’Antoine, qui circule entre la philosophie et la musicologie, est très précieux et sera une référence déterminante. A peine ouvert, un dialogue très riche s’est arrêté et j’en ressens une grande tristesse. »

Quelle place l’écologie occupe-t-elle dans le livre d’Antoine Freychet ?

Pauline Nadrigny : « Antoine Freychet a choisi d’ancrer sa réflexion dans une approche qui lie les différents sens de l’écologie, qu’il reprend à Felix Guattari : l’écologie environnementale, l’écologie sociale et l’écologie mentale. Cette cohésion est au coeur de ce qu’on appelle parfois l’écosophie. L’enseignement en est simple : l’expérience esthétique constitue une facette inaltérable de notre intégration dans un milieu et constitue souvent le point focal à partir duquel un souci éthique à l’égard de l’environnement se déploie. Antoine Freychet souhaitait ainsi montrer comment des pratiques artistiques participent pleinement de la préoccupation écologique ; comment, à travers elles, nous pouvons aborder les problèmes environnementaux de manière pertinente et efficace. C’est une idée d’une grande force : pour prendre conscience, il faut, souvent et d’abord, sentir. L’attention, qui se décline du perceptif à l’éthique, est avant tout une expérience qui se cultive et les arts sonores peuvent nous y aider. »

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