Rubbish music : Kate Carr et Iain Chambers au milieu des déchets

L’humanité produit sans cesse plus de déchets ; pourquoi n’envahiraient-ils pas sa musique ? C’est probablement ce qu’ont dû se dire deux musiciens anglais, la compositrice Kate Carr, spécialiste du field recording expérimental, et Iain Chambers, producteur d’émissions de radio et grand défenseur de la musique concrète.

Le duo publie un premier album, Upcycling (« recyclage » en français), sous le nom de Rubbish music (qui pourrait se traduire par « musique des détritus »). Trois pièces de longueur inégale évoquent le parcours, les transformations et les impacts des objets mis au rebut. Les deux artistes jouent donc avec ce qu’ils ont trouvé dans des bennes à ordure : des grilles de four sales, des pelures d’oignon, des bouteilles, un jouet pour chien en forme de poulet, un spray nasal, une ventouse destinée à déboucher les toilettes…

De nombreux musiciens créent déjà de la musique à partir de déchets : les Congolais de Fulu Muziki, le Belge Max Vandervorst, le Français LeChapus… Mais leur travail consiste le plus souvent à les transformer en instruments de musique, à les accorder, à leur trouver une place dans la gamme. Rubbish Music cherche au contraire le son originel, la vérité de ces bribes d’objets.

Au-dessus d’un bourdonnement sourd, synthétique, la première pièce, Bathroom Throwaways, juxtapose de courts événements sonores, majoritairement liquides, voire gluants, qui se répètent comme s’ils se créaient ou se multipliaient d’eux-mêmes. Cette sensation angoissante d’assister à la naissance de monstres se renforce sur la pièce suivante, Re-use and Recycling Center, qui sonne de façon plus métallique, plus robotique, moins humaine encore.

Trash and Treasure, l’ultime morceau d’une durée de 20 minutes, résulte d’une performance en direct dont témoigne une vidéo. A l’écran, Kate Carr et Iain Chambers ne peuvent cacher la façon dont ils manipulent leur attirail. Mais, comme une peinture hyperréaliste, leur pièce sonore reste profondément troublante, intimement ambiguë.

« Des grands amas de déchets que nous avons créés dans nos océans aux décharges enterrées ou aux usines de recyclage sophistiquées, les objets que nous avons abandonnés continuent sans nous sous de nombreuses formes. Ces voyages dans lesquels s’embarquent les objets abandonnés créent de nouveaux mondes, de nouvelles niches pour les espèces » philosophent les deux musiciens dans leurs notes de pochettes. Est-ce donc là le destin de ce qui ne vit pas : ne pas pouvoir mourir ?

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
La page Bandcamp d'Iain Chambers

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