Aïla et son étrange système de diffusion transportable sans électricité

Mais que fabriquent-ils ? Depuis quelque temps, Marine Ciana et Michaël Amouroux, les deux musiciens qui forment le duo Aïla, bricolent avec d’autres musiciens, des plasticiens, des créateurs de décor et l’association La Petite Populaire. Que préparent-ils ? Les explications de Marine…

Sur l’une des photos récemment publiées sur les réseaux sociaux, on vous voit vous amuser avec des sortes de cornets acoustiques en bois. De quoi s’agit-il ?

Marine Ciana : « Nous sommes dans la phase de création de notre projet. Ce sont donc des cornets – qui ne sont pas en bois mais en pâte à papier et grillage – qui nous serviront de micro. Je vais avoir deux cornets devant moi, un pour la voix, un pour les instruments. Ils vont diffuser le son sans recourir à l’électricité. Ce ne sont pas des amplificateurs mais des outils qui déplacent le son. Le public, lui, sera sur les côtés de deux cornets géants, qui ressemblent à de grosses fleurs, de gros liserons. »

Sur d’autres images, on s’aperçoit que vous allez jouer placés dans une sorte d’enceinte de haut-parleur de 2 mètres de haut. A quoi l’ensemble va-t-il ressembler ?

Marine Ciana : « L’ensemble est parti d’un constat : on peut très bien faire un concert dehors, sans tout cet attirail, mais on a une jauge très limitée. Dès qu’on est dans une plaine (ce qui va nous arriver en Gironde, dans des réserves naturelles), le son s’échappe par derrière. Le premier élément de la scénographie sur laquelle nous travaillons est une scène avec un plancher de bois, surmontée d’une sorte d’abri, qui a la forme d’un haut-parleur mais qui est principalement en carton. L’idée est de conserver le son, d’éviter qu’il ne s’échappe derrière et sur les côtés. Tout cela est encore expérimental. On va, pour cette troisième année de travail, se rapprocher de l’université de Bordeaux pour travailler avec des universitaires physiciens ou acousticiens afin d’améliorer tout ça. Pour l’instant, on travaille avec des gens qui sont issus du théâtre ou de la scénographie. Ce premier élément scénique, ce plateau de bois surmonté de cartons plaqués sur une structure en bois doit être démontable et transportable. Il doit rentrer dans une remorque. L’autre élément scénique, c’est cet ensemble de cornets acoustiques. Michaël s’est inspiré de choses existantes comme les amplificateurs en bois de smartphones, des enceintes en pâte à papier fabriquées aux États unis, et cetera. Le son est récupéré à la sortie de nos instruments, il passe dans des tuyaux et ressort via les grands cornets, à proximité du public. Ça permet d’augmenter la jauge. »

Toutes ces inventions sont nées de l’envie de jouer en plein air. Qu’est-ce que cela change, pour Michaël et vous, d’amener le public dans les bois ?

Marine Ciana : « Tout vient de notre rencontre. Moi, je suis issue du milieu de l’éducation à l’environnement. J’y ai travaillé pendant plus de dix ans, j’ai une maîtrise en environnement. Je me suis reconvertie dans la musique. Michaël, lui, a un parcours de musicien formé à la lutherie, avec une passion pour le bois, la fabrication d’instruments et l’acoustique. Il est également enseignant dans ce domaine. Quand on a commencé à jouer ensemble, on a eu de nombreuses discussions. C’était l’époque du Covid. On habite à la campagne, on développe des projets en milieu rural, j’ai donc eu envie d’amener la musique au-dehors. On a fait des stages de chant en forêt, des bains de forêt musicaux… J’ai parlé à Michaël de mon envie d’amener le public dans des endroits isolés, sans les détruire (le but n’est pas de raser un espace ou d’amener 400 personnes), de mon souhait de réunir les deux pans de ma vie, l’éducation à l’environnement et l’art. Il m’a dit « OK mais il y a des contraintes sonores ». Il est alors parti sur cette idée de cornet. »

Parlons de votre répertoire… Quel lien faites-vous entre ce que vous jouez et l’endroit où vous le jouez ?

Marine Ciana : « Michaël et moi avons un point commun : les musiques traditionnelles. Je suis clarinettiste, Michaël saxophoniste. On joue plein d’autres instruments, comme le cymbalum pour Michaël. Lui est vraiment fasciné par les musiques traditionnelles d’autres pays. Moi, j’ai longuement travaillé autour de la musique klezmer et j’aime beaucoup les chants occitans. Le point commun de toutes ces musiques est qu’elles sont souvent issues de la ruralité. Elles ne sont pas forcément écrites. On retrouve souvent la thématique de l’amour, forcément, de la nostalgie, mais aussi de nombreuses histoires en lien avec la nature. Par exemple, j’adore un chant estonien qui parle du mouvement perpétuel de la nature et de l’eau. C’est un chant qui a 3000 ans. Par ailleurs, je compose beaucoup en m’inspirant de la nature, comme énormément d’artistes, notamment dans le classique. On a dans notre répertoire quelques reprises de chants traditionnels, comme un chant géorgien qui parle de l’asservissement des animaux. On a aussi nos propres compositions : j’ai écrit un morceau sur l’eau et la pluie, que je joue avec une flûte amérindienne ; on a un morceau sur « la vallée des loups » ; on a des morceaux que nous ont inspirés les paysages… On n’a pas un discours culpabilisant autour de l’écologie, on conseille simplement de prendre le temps d’observer, de contempler la nature, de respirer, de se connecter (ou pas, c’est un choix personnel)… Notre utopie est de dire que, si, déjà, on est en paix avec le milieu dans lequel on est, on aura envie de le préserver. »

La prochaine étape, pour vous, est un appel au financement participatif…

Marine Ciana : « Oui. C’est la première fois qu’on monte un aussi gros projet de création. On est plutôt issu d’un milieu où on répète puis on monte tout de suite sur scène. Là, on a une boite de production. On est entré dans ce système très chouette d’accompagnement par l’IDDAC, l’agence culturelle du département de la Gironde, et l’OARA, l’agence culturelle en charge du spectacle vivant de la Région Nouvelle-Aquitaine. On a gagné le tremplin Arviva. Là, pour boucler le financement, on s’est rendu compte qu’il nous faudrait de quoi payer des supports en bois pour les cornets et une remorque (on voudrait être autonomes au niveau des déplacements, ne pas avoir à louer un camion). Le département de la Gironde nous a proposé de tenter notre chance dans le cadre de son budget participatif. On attend donc le vote des citoyens… »

Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin...
La page Facebook d'Aïla
Le site web de La Petite Populaire

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