Christian-Pierre La Marca : « Ce qui m’intéresse, c’est que l’émotion guide les gens vers une forme d’action »

Depuis qu’il a reçu le prix « Révélation Classique de l’Adami », en 2005, le violoncelliste Christian-Pierre La Marca ne cesse d’être appelé sur les scènes les plus prestigieuses, du Southbank Center de Londres au Konzerthaus de Vienne, pour y jouer Bach, Debussy ou Rachmaninoff. Son souci de la nature avait déjà pris la forme, en 2019, d’un « Concert pour la Planète ». Cet automne, il présente un projet plus ambitieux, Wonderful world. En deux disques, il y parcourt plusieurs siècles de musique en compagnie d’une galaxie d’étoiles (Michel Portal, Thomas Enhco, Thierry Escaich, Nathanaël Gouin, Baptiste Trotignon…) pour tenter de faire le tour de cette terre qu’il aime autant que Yann Arthus-Bertrand, dont les photographies sont insérées dans le livret ou projetées les soirs de concert. Il évoque ici ce qui motive son engagement…

Quelles images aviez-vous en tête quand vous avez conçu ce projet ? Les photos impressionnantes de Yann Arthus-Bertrand ou des souvenirs plus personnels des coins de nature que vous fréquentiez enfant ?

Christian-Pierre La Marca : « Pas seulement enfant… J’ai toujours été très sensible à mon environnement. Notamment à la mer, puisque j’ai grandi dans le sud. Mais c’est vrai que le déclic a été la rencontre avec Yann et ses photos qui m’ont guidé, qui m’ont poussé à créer ce projet. »

Sur quels critères avez-vous choisi les morceaux qui composent ce « Wonderful world » ?

Christian-Pierre La Marca : « J’ai d’abord essayé d’imaginer une trame. Je ne voulais pas créer une ode à la nature qui n’ait pas de forme. Je ne voulais pas d’une sorte de pot-pourri, de concours de pièces inspirées de la nature. On sait que, depuis des siècles, de nombreux compositeurs ont eu un rapport très fort à leur environnement. Mon idée était plutôt de décrire une situation globale séquence par séquence, de m’approprier une nouvelle forme de concert immersive, où on présente des extraits de film en adéquation avec la musique qui est jouée. Tout est structuré, tout prend forme dans une chronologie, une architecture, ponctuée d’extraits littéraires et philosophiques. Il y a donc une phase d’introduction, une phase d’émerveillement, une phase qui fait entendre le cri de la terre, qui fait comprendre l’interdépendance de l’homme et de la nature, enfin une phase plus spirituelle et une phase de perspective. L’une après l’autre, ces phases traitent tous les sujets qui me semblaient importants, concernant la sauvegarde de notre environnement ».

Tout cela au travers d’un répertoire très riche, très diversifié… Avez-vous étudié l’histoire de chacun de ces morceaux ?

Christian-Pierre La Marca : « Oui, bien sûr. Chaque pièce rentre en synergie avec l’image mais chaque pièce a elle-même sa propre atmosphère, son propre pouvoir. Je pense par exemple à la pièce de Fazil Say, Four cities, qui décrit le chaos des villes, leur intensité, leur rapidité, voire notre suractivité. Je pense aussi à la pièce d’Antonín Dvořák, qui évoque la forêt, toutes les forêts, y compris les plus menacées. La sauvegarde des espèces est illustrée par le Cygne de Saint-Saëns ou Le vol du bourdon de Rimski-Korsakov. L’idée est que cette musique soit accessible au plus grand nombre, qu’elle puisse toucher les auditeurs, provoquer des émotions. Ce qui m’intéresse, c’est que l’émotion guide les gens vers une forme d’action. Une grande partie des bénéfices sera reversée à la fondation Good Planet. Je sens qu’on est vraiment dans une phase de notre existence où chacun a besoin de donner du sens à sa vie. Moi, j’ai besoin de donner du sens à mes projets. Dans ma vie de violoncelliste, j’avais besoin de ce disque, je crois. »

Parmi ces titres, lequel associez-vous le plus directement à la nature ?

Christian-Pierre La Marca : « Les distinguer serait mission impossible. Ce qui me semble très symbolique, c’est de commencer par Après un rêve de Gabriel Fauré. Il y a eu pendant des années, des siècles, une forme d’inconscience collective et, nous, on se réveille. On doit tous maintenant inventer le monde de demain. »

Vous mêlez des compositions issues de la musique savante et d’autres issues des musiques populaires. C’est un peu risqué, pour un violoncelliste classique, non ?

Christian-Pierre La Marca : « Non, je crois qu’on a dépassé ça, maintenant. Il y a toujours eu ces dialogues. On a plus de mal, nous, en Europe mais les Anglo-Saxons n’ont pas ce problème. Pour moi, tout dépend de la façon dont on traite une musique. Ce qui compte, c’est la façon dont on lui donne vie. J’essaie d’être très attentif, très soigneux. Ensuite, c’est le sens qui est important pour moi, particulièrement dans ce projet-là ».

Comment la fondation Good Planet vous a-t-elle accompagné dans ce projet ?

Christian-Pierre La Marca : « Ils me permettent de mener une vraie action. Ils vont affecter le produit de la vente des albums et des places de concert à des projets d’envergure. Ils m’accompagnent en mettant à notre disposition les images et en sensibilisant le public. Ils se servent aussi de la musique pour sensibiliser les enfants, lors d’ateliers… »

Ce projet a déjà donné lieu à des concerts, comment réagit votre auditoire ? Vous avez la sensation de le pousser à l’action ?

Christian-Pierre La Marca : « Oh, vous savez, je n’ai aucune prétention. Je n’ai pas assez de recul, le disque est à peine sorti. Pour l’instant, je suis surtout heureux d’avoir réussi à rassembler tous ces grands artistes autour de ce projet. Je les remercie. Ensuite, l’essentiel, c’est d’essayer. Je n’ai pas la prétention de sauver la planète. Je me dis juste que, si chacun, à notre niveau, on peut faire une action, donner une impulsion positive dans ce sens, cela permet aux gens de réfléchir et de changer un peu leur façon de vivre. »

Photo de têtière : Cénel et François Mauger
Pour aller plus loin...
Le site web de Christian-Pierre La Marca