Franck Tortiller : « Le vigneron et le musicien travaillent avec du vivant »

Les bonnes musiques font-elles de bons vins ? Pour Raphaël Pommier, vigneron mélomane établi en Ardèche, gérant du domaine de Cousignac, cela ne fait aucun doute. Il a diffusé une année entière une série de titres composés pour sa cave par l’un des géants du jazz français, l’ancien directeur de l’Orchestre National de Jazz Franck Tortiller. Les morceaux du vibraphoniste, qui s’est associé pour l’occasion au Quatuor Debussy, sont sortis avant les fêtes, sous le titre Cépages. Le musicien évoque ce disque fluide et velouté…

Comment l’aventure Cépage(s) est-elle née ? Qu’est-ce qui est venu en premier, le vin ou la musique ?

Franck Tortiller : « Il y a d’abord eu une rencontre avec le Quatuor Debussy, avec lequel on a déjà développé plusieurs projets. Mais, surtout, il y a eu la rencontre du vigneron Raphaël Pommier, avec lequel le quatuor avait déjà collaboré. Moi qui suis fils de vigneron, mais bourguignon, je me suis mis à parler avec lui. Je suis passionné de cépages et de tout ce qui concerne l’histoire des vins. J’en ai parlé avec lui et je lui ai demandé quelle musique il associait à tel ou tel cépage. Il m’a dit « Moi, quand je bois du grenat, j’ai la sensation de quelque chose de très intense, de très profond, ça m’évoque le violoncelle ; le cinsault est plus aérien, comme un premier violon ». C’était une discussion comme ça, sans penser à quoi que ce soit, mais l’idée a cheminé. J’ai écrit une série de pièces qui évoquent les histoires incroyables des cépages. J’ai retrouvé des histoires, comme celle du cépage qui s’appelle « l’enfant trouvé », qui a été recueilli au début du siècle par un vigneron. Il a replanté cet unique pied de vigne et il l’a développé. Au fur et à mesure, j’ai essayé de créer un parcours à la fois sensitif et musical. »

Le vigneron Raphaël Pommier a diffusé votre musique jour et nuit devant ses cuves. Partagez-vous sa croyance au pouvoir de la musique sur le vin ?

Franck Tortiller : « Pour moi, il n’y a que le résultat qui compte, en tout cas cette cuvée-là, qui porte le nom d’« Accord tonique ». Il m’a dit « Je vais prendre ta musique et je vais la diffuser pendant un an 24 heures sur 24 » mais je n’avais pas vraiment réalisé ce que ça signifiait, jusqu’à l’été dernier, où, après un concert avec le quatuor en Ardèche, on est allé lui rendre visite. Je suis rentré dans son chai et j’ai entendu ma musique. C’est à ce moment là que je me suis rendu compte du lien qu’il créait entre notre musique et son vin. Je trouve ça incroyable. J’aime les gens qui vont au bout d’une idée. Il est ingénieur agronome, ce n’est pas un illuminé. Il est persuadé que les ondes influent sur le vivant. Cette collision de la musique et du vin est comme une collision d’atomes : deux éléments qui se rencontrent et qui s’agrègent. Je n’y aurais jamais pensé. Raphaël Pommier est un très bon vinificateur et il a poussé le bouchon très loin : comme je suis bourguignon, il a voulu créer une passerelle entre la Bourgogne et l’Ardèche et il a pris des fûts d’un grand tonnelier bourguignon. Ces vins ont rencontré la Bourgogne au travers de ces fûts et de la musique. Ce que je trouve super, c’est de raconter toute cette histoire en musique. Un vin ou un morceau, ça raconte une histoire et ensuite chacun l’interprète comme il veut… »

Y a-t-il quelque chose de commun au geste et à la pratique du musicien et à ceux du vigneron ?

Franck Tortiller : « Oui, les deux métiers relèvent de l’artisanat. Le vigneron et le musicien travaillent avec du vivant. Comme le vigneron, le compositeur pense sur le temps long. En revanche, moi, en temps que musicien de jazz, il y a un parallèle qui ne marche pas : faire du vin, ça ne s’improvise pas. Mais, tout de même, il y a une attention commune au geste. Quand je regarde le Quatuor Debussy, qui est un quatuor incroyable, j’observe une précision du geste, de l’archet ; quand je vois Raphaël qui taille ses vignes, il y a la même précision. Ça, c’est quelque chose qui m’émeut, c’est quelque chose de profonde et d’important, quelque chose qui se transmet aussi. C’est une autre passerelle entre le vin et la musique. »

Photo de têtière : Ilo (via Pixabay)
Pour aller plus loin...
Le site web de Franck Tortiller
Le site web du Quatuor Debussy
Le site web de Raphaël Pommier

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