Parmi les 90 pavillons de la soixantième Biennale de Venise, gros plan sur les propositions artistiques italiennes et catalanes, qui ont la particularité de mettre en avant la question de l’écoute.
Dans le pavillon catalan, l’artiste Carlos Casas présente Bestiari, une œuvre audiovisuelle immersive qui revient sur un texte de 1471, la Disputa de l’ase d’Anselm Turmeda. Il y est question d’un homme jugé par une assemblée d’animaux qui remettent en cause sa prétendue supériorité. Bestiari illustre le point de vue de chacun des animaux mentionnés dans le texte avec des images tournées dans 11 parcs nationaux, parfois retravaillées pour restituer leur Umwelt, leur façon de percevoir le monde. Carlos Casas va plus loin en reflétant également les sons (parfois inaccessibles aux humains) qu’ils produisent ou captent. Diffusés avec le dispositif de spatialisation Ambisonics 3D, les enregistrements viennent de l’un des artistes sonores les plus respectés de ce début de siècle, l’Anglais Chris Watson.
L’Italien Massimo Bartolini a de son côté choisi de placer le verbe « to hear » dans le titre de son installation, même s’il joue avec les mots, feignant d’entendre « two here » (« deux ici »), qu’il traduit par « due qui ». L’erreur est intentionnelle. Elle lui permet de rappeler que l’écoute est une forme d’attention à l’autre. Massimo Bartolini montre une statuette boudhiste posée sur une immense colonne couchée qui émet un son grave. Plus loin, un sorte d’orgue composé de tuyaux d’échafaudage et incrusté de boites à musiques géantes diffuse la composition de deux jeunes musiciennes, Caterina Barbieri et Kali Malone. Dans la cour, entre les arbres, résonne un morceau de Gavin Bryars et son fils, Yuri. Intitulé A veces ya no puedo moverme (« Parfois, je ne peux plus bouger »), il illustre un poème de l’Argentin Roberto Juarroz à propos d’un homme qui se perçoit comme un arbre, relié au reste du monde par ses racines. Le fil conducteur qui relie les trois espaces est, selon le curateur Luca Cerizza, l’écoute. Luca Cerizza cite entre autres l’essayiste sud-coréen Byung-Chul Han (« En tendant l’oreille, ce qui est une forme d’inaction, le moi se tait, le présupposé des différenciations et des délimitations s’efface, le moi qui tend l’oreille s’immerge dans le tout, dans l’illimité, dans l’infini ») et les cahiers de la philosophe Simone Weil (« Tout être crie en silence pour qu’on le lise autrement. Ne soyez pas sourds à ces cris »). La traversée de l’installation donne l’impression qu’il n’y a pas d’activité plus démocratique que l’écoute. Avec ses débats inaudibles, l’époque donne raison à l’artiste.
Photo de têtière : François Mauger