C’est une rumeur qui court, qui court… Le secteur de la musique pourrait prochainement voir ses aides conditionnées. Il est question de diminuer les subventions versées aux salles de spectacles ou aux festivals, s’ils ne mettent en place, par exemple, aucune mesure de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela s’appelle « l’éco-conditionnalité ». De nombreux promoteurs de la transition écologique, comme le ténor Sébastien Guèze, appellent cette mesure de leurs vœux. L’association Blockchain My Art (BMA) prend de l’avance en travaillant dès maintenant sur les critères qui permettraient de la mettre en place sans trop peser sur les maillons les plus fragiles de la filière. Son projet Impact(s) vise, comme son nom l’indique, à élaborer une méthode de mesure de l’empreinte environnementale de chacun des acteurs du secteur. Avec le soutien du Centre National de la Musique, l’association lance une concertation nationale afin de choisir des critères d’évaluation et d’identifier d’éventuels points de blocage. Maxime Faget, cofondateur de Blockchain My Art, explique ses objectifs…
De nombreux acteurs réclament une éco-conditionnalité des subventions mais les professionnels de la musique s’inquiètent. Comprenez-vous leur inquiétude ?
Maxime Faget : « Oui, bien sûr. Leurs craintes s’expliquent par le fait de devoir imposer des conditions qui pourraient être hors-sol ou ne prendraient pas bien en compte la réalité du terrain. C’est pour cela que, dans notre approche, on a à cœur de définir notre méthode avec les professionnels du secteur, pour qu’elle reflète et représente leur quotidien, leurs contraintes, qu’elle puisse prendre en compte les différences d’un territoire à l’autre ou les différences de type d’événement… Un festival en milieu rural ne rencontre pas les mêmes défis techniques qu’une salle de centre-ville qui s’appuie sur des infrastructures publiques. La prudence du secteur musical est compréhensible. Il ne souhaite pas que les conditions qui lui seront appliquées viennent impacter les aspects artistiques. »
Cette problématique est au cœur de votre démarche…
Maxime Faget : « Oui. Avec Impact(s), on fait plusieurs choses. On définit un barème pour calculer les impacts d’un événement. Les impacts au pluriel, parce qu’on ne s’arrête pas à l’impact environnemental ou écologique. On essaie également de prendre en compte les dimensions sociales ou territoriales. Typiquement, pour le social : les différences de salaire dans les structures entre hommes et femmes ou les écarts de paiement entre les artistes, voire le non-paiement de certains… La question territoriale porte plutôt sur l’impact économique d’un événement, d’un festival ou d’un lieu sur son environnement local. Est-ce que les boissons vendues sont locales ? Comment se fait l’hébergement ? On prend toutes ces questions en compte et on essaie d’avoir une approche la plus holistique possible. On s’intéresse aussi à la question de la pondération de ces critères. Comme je le disais tout à l’heure, on essaie de refléter la réalité du terrain. Par exemple, appliquer la même règle linéaire et mathématique, basée sur les émissions carbone ou sur les déchets, à un festival en pleine nature, qui n’a pas d’autre choix que de produire son électricité, et à un festival de centre-ville ne serait pas juste. On discute avec plusieurs types d’acteurs. Il y a des fédérations comme le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles), le Collectif des festivals, le COFEES (Collectif des festivals éco-responsables et solidaires en Région Sud), le PAM (Pôle de coopération des Acteurs de la filière Musicale en Région Sud & Corse), Elemen’terre (association pour des pratiques éco-responsables sur les événements en Occitanie), Octopus (fédération des musiques actuelles en Occitanie)… Des concertations sont menées et coordonnées par Gwendolenn Sharp, de The Green Room. Pendant ces rencontres, on va essayer d’établir une liste des critères d’impact et de définir leur juste pondération. Cette pondération sera probablement progressive. Elle a vocation à évoluer au fil des années, à être de plus en plus subtile. Le résultat de ces concertations et la méthode seront mises en « open source ». La méthode de définition de l’impact sera transparente. L’idée est d’impliquer autant que possible les professionnels et, en parallèle, le Ministère de la Transition écologique, puisqu’on veut être sûr que la méthode qu’on établit correspondra à la feuille de route du Ministère dans le cadre de la loi Climat et Résilience, qui prévoit pour le textile et l’agro-alimentaire l’obligation d’affichage des impacts. On veut être sûr que le cadre qu’on est en train de créer répond aux normes futures. »
Qu’est-ce qui rend si difficile la mesure des impacts du secteur musical, bien plus difficile en tout cas que ceux du textile ou de l’agro-alimentaire ?
Maxime Faget : « Les causes sont multiples. Par exemple, pour des questions d’usage, d’habitude de consommation, dans le textile et dans l’agroalimentaire, les citoyens ont pris le réflexe de regarder les labels. Les consommateurs sont exigeants. Dans le secteur culturel, ces questions ont été moins médiatisées. Ensuite, le textile et l’agro-alimentaire sont des industries bien plus normalisées, standardisées. Cela permet de comparer plus facilement deux modes de production. Dans la culture, on observe une variété de formats qui rend l’appréciation plus difficile. Dans le domaine des musiques du monde, par exemple, les enjeux sont très différents de ceux des scènes nationales. Il y a plus de voyages, de tournées… Ce ne sont que deux raisons parmi des dizaines qui expliquent que le secteur musical est un peu en retard par rapport à d’autres secteurs. Je ne crois pourtant pas que ce soit le secteur le plus en retard, puisque ses acteurs sont déjà assez mobilisés. D’ailleurs les institutions le sont aussi, puisque BMA-Impact(s) est notamment soutenu par le Centre National de la Musique (CNM). »
Quand pensez-vous pouvoir aboutir à un cadre d’analyse commun à tous les événements ? Et quel est le calendrier du gouvernement en matière d’éco-conditionnalité ?
Maxime Faget : « Notre première phase de travail devrait s’achever à la fin de l’année. Les discussions vont commencer à La Réunion fin mai, en Auvergne Rhône-Alpes en juin, à Paris en septembre… En parallèle, on avance sur la partie technique de la méthode, sur des questions telles que la collecte des données. Je pense qu’on continuera, en 2023, à affiner cette méthode. En tout cas, fin 2022, on espère avoir un premier outil à soumettre aux professionnels. Quant à l’arrivée de l’éco-conditionnalité, je ne connais pas précisément le calendrier gouvernemental à ce sujet. C’est une question qui se pose déjà à l’échelle de certaines régions ou de certaines villes mais pour l’instant, c’est à la discrétion des institutions locales, ce n’est pas normalisé au niveau national. On peut supposer que des changements auront lieu avant 2026, qui est l’horizon que s’est fixé le comité de pilotage de la loi Climat et Résilience. La loi porte plutôt sur d’autres secteurs, comme l’agro-alimentaire et le textile, mais je pense que l’application au secteur culturel pourrait se faire en parallèle. C’est pour cela qu’on entreprend ces actions dès maintenant. Si on a des résultats convaincants dès 2023, il est possible que ce soit pris en compte et déjà mis en œuvre… »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web de BMA-Impact(s)