Bravery in battle : « On avait envie de parler d’écologie différemment »

Près d’une dizaine d’années, plus de 40 concerts, un livre, un disque, un film et surtout des invités exceptionnels : Hubert Reeves, John Francis, Clive Hamilton, Paul Hawken, Bill McKibben, Vandana Shiva, Jean Claude Ameisen, Mélanie Laurent… « The House We Live In », le grand projet du groupe de rock Bravery in Battle, est un véritable tour de force, une sorte de symphonie écologique multimédia, une tentative d’art total difficilement dépassable. La formation du chanteur et guitariste Paul Malinowski a pourtant l’intention d’aller plus loin, comme il l’explique à la fin de cet entretien, après avoir longuement évoqué les rencontres qui ont jalonné le projet…

Combien de temps vous a-t-il fallu pour concevoir et réaliser le projet « The house we live in » ?

Paul Malinowski : « En fait, tout a commencé assez vite. L’idée a jailli d’une expérience et d’une culture qu’on avait, nous, du documentaire, de la musique contemporaine, de la musicalité de la voix parlée… L’idée a jailli comme ça, en quelques heures. Ensuite, il a fallu l’écrire musicalement, ce qui a pris quelques mois, et après, il a fallu tout mettre en place, ce qui a pris quelques années. Il y a eu différentes étapes mais la définition de ce qu’allait être ce projet s’est faite assez spontanément. »

Comment êtes vous parvenu à convaincre des personnalités comme Vandana Shiva, Hubert Reeves ou Jean-Claude Ameisen de participer à ce projet ?

Paul Malinowski : « Très simplement. On se disait, à raison, que ce sont des gens qui sont assez sollicités pour des choses plutôt classiques : des conférences, des rencontres, des documentaires traditionnels… Et qu’une sollicitation qui viendrait d’un groupe de musique, qui consisterait à fabriquer de la musique à partir de leurs voix, leur paraîtrait singulier et pourrait les intéresser. On avait également noté que certains d’entre eux étaient déjà intéressés par une pratique artistique, avaient déjà collaboré avec des musiciens… C’était le cas, par exemple, de quelqu’un comme Hubert Reeves, qui adore la musique, qui a été récitant dans le cadre de concerts de musique classique. On savait qu’il avait un goût et une appétence pour ce type de travail. Très simplement, on a cherché les contacts de ce genre là, on les a contactés en leur présentant brièvement le projet et, en général, la réponse a été assez rapide. La question la plus compliquée, ça a été les délais et l’organisation du travail avec eux, sachant qu’ils ont des emplois du temps extrêmement chargés et que souvent ce sont des gens qui ne sont pas organisés, c’est à dire qu’ils n’ont pas autour d’eux un staff de personnes qui gère leur agenda, ou en tout cas pas toujours. C’est que le cas de Vandana Shiva, par exemple : quand elle est en Inde, son assistant n’est pas toujours là, les mails peuvent mettre des semaines avant d’être lus. Pareil pour Jean-Claude Ameisen, c’est quelqu’un qui est très difficile à joindre oralement, physiquement. On a mis parfois du temps pour l’aspect pratique de l’organisation de la rencontre, mais les réponses ont toutes été assez rapides. Quand la personne a eu connaissance du projet, qu’elle l’a lu, en général, c’était « oui » ou « non » très rapidement. »

Laquelle de ces rencontres vous a le plus marqués ? Est ce que ces rencontres vous ont changés d’une certaine façon ?

Paul Malinowski : « Tout à fait. Nous, on était vraiment des musiciens, on avait l’habitude de se retrouver, de composer de la musique ensemble et de faire des concerts. Et, tout d’un coup, il a fallu faire autre chose. On s’est documenté en profondeur sur le corpus de personnes qu’on allait rencontrer. Il a fallu construire les interviews, les organiser, les monter, en tirer des extraits, parfois dans une langue étrangère… On sortait clairement de notre zone de confort. C’était assez angoissant au début. On va dire que l’une des personnes qui m’a le plus marqué, c’est probablement Vandana Shiva, parce que je la connaissais depuis longtemps. Moi, j’avais vu beaucoup de films auxquels elle participait, j’avais lu pas mal de ses livres depuis une dizaine d’années et j’ai donc rencontré tout d’un coup quelqu’un que j’avais admiré pendant longtemps. Il y avait un effet un peu « fan club », on va dire, au sens où, tout d’un coup, vous rencontrez quelqu’un qui, pour vous, a un statut un peu iconique, un peu mythologique, pas simplement quelqu’un dont vous aimez la pensée. Le fait que ce soit une femme, une femme de couleur, qui vient d’un pays que nous qualifions de « pays en voie de développement », avait de l’importance parce qu’on avait plutôt, pour des impératifs de production, pris contact avec des gens qui étaient en France ou dans des pays beaucoup plus accessibles. En plus, c’est quelqu’un d’incroyablement charismatique. Quand elle vient, elle prend toute la place dans la pièce. Ça a été une rencontre assez magistrale. Elle ne nous a pas consacré beaucoup de temps mais elle a fourni tellement d’informations, c’était si intense, qu’on avait tout le matériau qu’on voulait. Ensuite, on a fait un concert en 2022 à Lille. C’était la première édition du festival Ecoposs et les organisateurs voulaient un peu marquer le coup. Ils nous ont proposé de faire l’ouverture du festival et nous ont dit que, dans ce cas là, ce serait bien que nous contactions certains des interviewés pour qu’ils nous rejoignent sur scène. On a contacté Vandana Shiva et, à notre grande surprise, elle a accepté de venir en France pour monter sur scène avec nous. Du coup, on a eu l’occasion de la retrouver et de retravailler plus longuement et de manière plus proche avec elle. On a développé considérablement, pour l’occasion, sa partie et ce qu’elle disait. On a carrément fait une sorte de mini-spectacle avec elle, pendant 20 minutes sur scène. Donc oui, je pense qu’en termes de rencontre, ça a été de loin la plus marquante. Je parle de moi parce que c’est moi qui réponds à vos questions, mais pour le groupe en général, le temps qu’on a passé avec elle (on a fait deux concerts en tout) a été un moment assez incroyable. »

The house we live in, c’est tout un ensemble : un disque, des vidéos, un spectacle. Quelle forme tout cela prend-il sur scène ?

Paul Malinowski : « En fait, c’est avant tout un spectacle. C’est à dire que les choses qui sont sorties après – l’album, le disque, le film, le livre – sont des conséquences de l’objet principal, qui est le spectacle. Nous, on avait dès le début l’envie de parler d’écologie différemment. On voulait mettre en place un travail émotionnel, un travail émotionnel scénique. Moi, en tant que musicien, je suis spécialement sensible, évidemment, à la musique et à la scène et j’ai été très souvent bouleversé en concert par des expériences qui m’ont amené à repenser en profondeur des aspects de mon existence. Je me suis dit que le concert était un bon moyen de partager avec un public des expériences très intenses, d’une intensité suffisamment forte pour justement être capables de porter les conséquences intellectuelles des enjeux écologiques. Ce sont des choses qui sont tellement paradigmatiques qu’a un moment donné, il faut les prendre en considération, faire un travail profond. Justement, une expérience scénique qui, tout d’un coup, vient vous présenter ces éléments là a la force de vous toucher suffisamment profondément pour que vous mettiez en place un travail de réflexion à la hauteur des enjeux. Le but était de profiter du grand écran, du son en direct et cetera, pour parler différemment au cœur et à l’esprit. Quand vous êtes chez vous, dans votre fauteuil, confortablement installé devant l’écran, ça n’a pas le même impact que lorsque vous êtes face à une scène où il y a 5, 10, parfois 15 musiciens qui jouent. Je crois que c’est une expérience qui est sensoriellement extrêmement différente. Donc, nous, notre but, dès le début, c’était ça, c’était cet objet-là et l’impact émotionnel qu’il pouvait avoir. On l’a fabriqué en ne sachant pas, a priori, quel objet dérivé viendrait de ce spectacle. Après, on est des musiciens ; donc, évidemment, on a fait une version enregistrée, un album. Effectivement, on avait beaucoup de matière. On s’est demandé « Est ce qu’on va faire vivre l’image de manière indépendante ? ». On s’est beaucoup questionné par rapport à ça, parce qu’en fait, l’image n’est pas construite comme dans un film documentaire, elle est construite comme une image qui doit être vue en public, c’est à dire avec une audience captive qui vient faire une expérience de 90 minutes en live, avec un groupe de musiciens, et pas pour être vue sur un petit ordinateur comme ça, au milieu, on a foisonnement d’autres stimuli que la vie quotidienne amène en permanence. La vidéo est lente, très répétitive. C’est une sorte de couche supplémentaire dans la narration que, nous, on fait sur scène, qui mélange du son, des voix, de la musique, de la lumière… Cette couche vidéo, c’est un élément parmi d’autres, qui n’est pas faite pour vivre de manière autonome. On a quand même pris la décision de la publier de manière autonome parce qu’on a eu pas mal de retours positifs de gens qui avaient aimé cette vidéo ou qui nous demandaient « Mais alors, est ce qu’on peut la voir séparément ? Est ce qu’on peut la diffuser dans notre festival environnemental ? » Donc, on en a fait un objet séparé qui vit un peu sa vie, qui fait quelques festivals à gauche, à droite. Le livre est venu du fait qu’on avait effectivement beaucoup d’interviews. On avait plus de 12 heures d’interviews. On s’est dit « Est ce qu’on s’assoit dessus ou est ce qu’on essaye de partager ça ? » Donc, on a eu l’idée de contacter des éditeurs et de leur proposer une sorte d’objet hybride qui mélangerait un livre qui reprendrait une grande partie des interviews qu’on avait menées et la musique et le film. »

Quelle est la suite pour vous ? Quel est le prochain épisode de cette aventure ?

Paul Malinowski : « On a encore des propositions de concert pour ce projet-là, à gauche, à droite, mais pour l’instant rien n’a abouti. On a envie de se renouveler, de composer des musiques différentes, de faire des spectacles différents. On est plutôt dans une phase, on va dire, d’écriture de la suite. On prépare un nouveau spectacle, qui sera toujours une rencontre entre notre musique et l’environnement, mais sur plus tourné vers l’utilisation de sons naturels. On voudrait réaliser ce qu’on a fait avec les voix, à savoir prendre les voix, saisir leur musicalité inhérente, l’accompagner en musique, faire tout ça avec les sons naturels. On souhaite faire dialoguer une écriture musicale avec des sons de la nature, le vent, la mer ou des bruits animaliers. Voire – pourquoi pas ? – essayer de créer des dialogues avec des animaux, utiliser la voix de chanteurs qui reprennent des mélodies qu’ils entendent, pour voir ce que ça peut donner, avoir des matériaux sonores qui permettent de construire des morceaux et rajouter de la vidéo. Peut-être allons-nous rajouter en plus des interviews, qui, pour le coup, ne seront pas musicalisées, qui seront vraiment des sortes de charnière entre les morceaux, pour faire quelque chose de plus poétique et dont la thématique principale sera plutôt la déconstruction de l’anthropocentrisme de nos civilisations : le fait que l’homme est la mesure de toutes choses et que, pour l’homme, tout est objet et tout est ressource. C’est plutôt de cet angle-là qu’on essaie de parler, en essayant de redonner une certaine subjectivité à l’ensemble des vivants. On a découvert le travail de Philippe Descola, qui nous a complètement retournés, on va dire, avec toutes les mondiations dont il parle, la totémisation, le mimétisme et d’autres manières de penser les rapports entre les vivants, et c’est ça qu’on a envie de mettre dans notre prochaine création. »

Photo de têtière : Cénel Fréchet-Mauger
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Le site web de Bravey In Battle

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